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Le temps est venu de prendre les comiques au sérieux(1)

Par François Braud

La chronique sur laquelle vous devez garder l'oeil.

Ça n'arrive pas qu'aux autres.

Ça arrive souvent au voisin, à l'ami, au cousin du collègue qui prend le café à la pause avec vous. Tout le monde en connaît un. Au début, on est persuadé que ça ne va pas durer. Qu'il saura rebondir. Se motiver. Prendre le dessus. Que ce n'est qu'un passage à vide, un moment difficile à passer. Puis ça dure... On s'en inquiète, un peu, pas trop, des fois que ce serait contagieux. Et puis, sans vraiment s'y attendre, ça vous tombe dessus. À vous !

Au début, on est persuadé que ça ne va pas durer. Qu'on saura rebondir. Se motiver. Prendre le dessus. Que ce n'est qu'un passage à vide, un moment difficile à passer. On y voit même une chance, un signe. Puis on guette. Ça n'arrive pas. Ça dure...

On se retrouve alors à tout budgétiser ; les sorties avec les gosses, limitées, l'abonnement à la chaîne câblée, supprimée, la voiture, au garage, le cinéma, oublié, le shopping, mis de côté. Le temps est venu de faire des économies. On se retrouve au chômage à cinquante balais. Et on doute. De tout. De sa capacité, de son courage, de ses compétences dans le milieu. De son utilité.

X - ce pourrait être vous - travaillait dans l'industrie du papier et « compression de personnel », « coûts salariaux devenus exorbitants », « restructuration », « dégraissement », la boîte a pris des mesures, et il en fait partie. Le voilà licencié. X cherche une solution. Il bétonne à mort son CV. Il achète une cravate, suit les cours et les stages pour se recycler, apprendre à se vendre, à s'entraîner à être un winner. Il étudie le marché, consciencieusement, religieusement et X s'aperçoit qu'il n'est pas seul. Il existe, tout près de chez lui, d'autres personnes qui ont le même bagage que lui, un CV presque identique au sien et qui deviennent, ipso facto, des concurrents. Des ennemis. Et que fait-on des ennemis ? Quelle est la solution pour se débarrasser de ses ennemis ? Les éliminer. Eh oui ! Le problème se résout par l'élimination. Physique évidemment. X décide donc d'éliminer les adversaires qui pourraient, le cas échéant, lui piquer son boulot. Sa maison, son ordinateur, les sorties avec les enfants, son confort, ses traites, sa vie quoi.

X passe alors une annonce pour un job fictif auquel il pourrait postuler. Il trie les candidatures et en sélectionne six. Six CV pouvant lui faire ombrage dans l'obtention d'un futur boulot. Les éliminer, c'est se donner un avantage. Il décide alors de tuer ses six candidats potentiels.

Donald Westlake, grand comique devant l'éternel, à qui l'on doit le grandiose « Aztèques dansants (2) » et bien d'autres livres où il met en scène Dortmunder, le bandit malchanceux, a décidé avec « Le Couperet  (3) » de tomber les masques et de rétablir une vérité libérale : je vis parce que j'ai écrasé l'autre.

X a une théorie implacable. Le meurtre est justifié et inéluctable. C'est la seule solution. S'ensuit alors une longue descente dans l'horreur, un meurtre en appelant un autre. La difficulté de tuer, le remords, le doute, la confrontation avec le quotidien. X tue parce qu'il veut vivre son confort parce qu'il a peur qu'on lui enlève sa télé, ses restaus, sa voiture. Et sa quête devient, au fil de sa narration, logique, probante, justifiée. X tue parce que la société ne lui laisse aucun autre choix. Et ça devient terrible, absurde et tellement crédible.

Vous l'avez peut-être déjà rencontré, ce cadre épuisé, à bout, qui est prêt à tout pour retrouver un job. C'est votre voisin, votre collègue, celui avec qui vous prenez l'apéro en sortant du boulot, l'ami de votre ami, le cousin de votre voisin. Il est proche de vous, vous l'ignorez, mais il est là qui vous guette. Il vous regarde de biais. Prenez garde, il a peut-être déjà en tête une solution radicale pour prendre votre place. Méfiez-vous !

François Braud


1 Michel Lebrun à propos d'un livre de Donald Westlake
2 Éditions Rivages
3 Toujours chez Rivages (collection Thriller, 245 pages, 125 francs)

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