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l'ours-polar |
L'expression du malaise
La chronique sur laquelle vous devez garder l'oeil.
A propos du livre de Yasmina Khadra : Le
dingue au bistouri
Flammarion, 192 pages - 90 F
Revoilà le commissaire Llob — Mort à la fin de L'automne des chimères (Baleine, Instantanés de polar), après avoir enduré la décomposition de l'Algérie (lire Morituri et Double blanc, voir chroniques précédentes), le commissaire Llob renaît grâce aux éditions Flammarion.
Roman écrit dès 1990, avant la trilogie, par le jasmin vert (Yasmina Khadra en arabe), Le dingue au bistouri est comme un prélude à l'horreur. En plus compact, plus direct, moins poétique, plus macho, moins sensible... Yasmina Khadra, dont la quatrième de couverture se plaît à nous dire qu'on ne sait si c'est un homme ou une femme (dont on se fout éperdument), tient à conserver son anonymat (on la/le comprend). Son alter ego officie à Alger dans un commissariat, affublé d'un intellectuel, Lino dont, Desproges aurait aimé l'affirmer une nouvelle fois, le QI ne dépasse guère la température annaleaux prises avec un serial killer qui se plaît à disséquer ses victimes du nombril jusqu'à la gorge puis dépose dans leur bouche une étoile noire. On sent à plein nez l'intrigue polardesque et on perd vite de vue les raisons qui poussent ce DAB (Dingue au bistouri) à jouer au vivisecteur pour s'attacher aux considérations de Llob sur la déchéance de son pays.
"Quand j'étais à l'école, je pensais vraiment que nos ancêtres c'étaient les Gaulois et que, dans mes veines de sous-alimenté, coulait le sang de Vercingétorix." C'est vous dire où on en était L'indépendance est arrivée mais "Il y a des jours où je me dis, honnêtement, que les trente années d'indépendance nous ont fait plus de tort que les cent trente-deux années de joug et d'obscurantisme." Aigri, dégoûté, écuré, Llob n'analyse pas. Il subit et s'énerve sur ce que les occidentaux ne veulent retenir de l'Algérie: "Ça s'appelle le Raï, ou la confession paillarde d'une génération châtrée." Loin d'adorer les idoles barbus (voir la trilogie), Llob subit les affres d'un chef petit arriviste, vitupérant, guettant le téléphone comme on attend une promotion. Il regarde filer les affaires qu'on lui retire parce que papa a décidé que son fiston c'est vrai, il a fait des bêtises irait aux Amériques, histoire de se faire oublier et d'apprendre le libéralisme
Llob est un flic, et quand on l'est, on l'est pour toujours, qui semble construire un barrage à l'aide de quelques branchages pour arrêter la crue d'un fleuve aux relents nauséabonds qui charrie sa décadence comme d'autres montrent leurs cicatrices. Constat amer, dérangeant, énervant parfois le lecteur, "Le dingue au bistouri" est plus qu'un polar. C'est un état des lieux de l'Algérie où, comme Llob, le lecteur ne sait plus où donner de la tête, s'il doit vider ses tripes contre le colonialisme, cracher sur le FLN ou raser les barbus, conchier la culture française et le Raï et se repaître de l'ancien qui savait inculquer le respect.
Llob est à l'image des Algériens. Il se cherche mais ne se trouve pas Et nous, on reste partagé entre l'envie de crier et d'applaudir N'est-ce pas là l'expression même du malaise?
François Braud