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Interview de Paul Borrelli

- Paul Borrelli, on vous connaît peu ; pourriez-vous vous présenter.

Je suis né le 11 avril 1959 à Toulon. Enfant, je m'enfuyais dans d'interminables rêveries et je jouais peu avec les autres. Je regardais les films d'Hitchcock à la télévision, ils me fascinaient.

Dans les années 80, pris de passion pour Magma et Christian Vander, j'ai monté un groupe pour lequel je composais et jouais des claviers. En même temps, enthousiasmé par le film Alien, je me suis mis à fabriquer des maquettes de vaisseaux spatiaux et à peindre à l'aérographe. Je lisais également mes premiers romans de Dick. Puis j'ai entrepris des études de psychologie à Aix-en-Provence. C'est à cette époque que j'ai découvert Ballard, et que j'ai connu l'oeuvre de Brussolo. J'ai eu la chance d'avoir Marcel Thaon en tant que professeur de psychologie clinique. Marcel Thaon s'intéressait de près à la S.F et il était un spécialiste de l'oeuvre de Dick. Parallèlement à mon mémoire de maîtrise ( une étude en psychologie sociale expérimentale sur la créativité ), je me suis mis à rédiger un premier roman, Fantasmes Urbains, que j'ai soumis à Thaon et qu'il a apprécié. Puis un second, Poussières.

Les bribes d'un troisième roman sont apparues quelques temps plus tard, après une large pause consacrée à la musique et aux arts plastiques. Entre temps, j'avais quitté la fac et trouvé un emploi.

C'est à cette époque que j'ai fait une cure de roman policier, pour le plaisir. J'appréciais tout particulièrement Liebermann, Harris, Bloch et Ellroy. C'est donc dans ce double courant d'influences, SF et polar, que j'ai rédigé ce qui allait devenir L'ombre du chat. Mais ma référence intime, le sentiment d'adéquation totale, c'est l'extraordinaire roman de Dick, Substance-mort. Un roman noir qui, justement, emprunte certains de ses cadres à la science-fiction.  
 

Votre premier roman publié est L'ombre du chat. A l'intérieur est écrit « ouvrage proposé par Claude Mesplède », pourriez-vous nous expliquer le parcours de ce manuscrit ?

J'ai écrit ce roman en dehors de tout contexte ou contact littéraire. Personne ne savait que je me consacrais à ce projet, qui était pour moi ambitieux et important. Les objectifs que je m'étais fixés étaient purement personnels : je ne pensais pas être publié un jour. Quand le manuscrit a été terminé, je l'ai confié à Françoise Poignant, qui dirige la revue 813, les amis de la littérature policière. Je n'y croyais pas du tout, aussi me suis-je désintéressé de la question. Elle-même l'a remis à Claude Mesplède, lecteur pour les Editions Rivages, et il a jugé que cela convenait mieux pour l'Atalante. L'éditeur Nantais m'a contacté rapidement, il a fallu en tout moins de deux semaines.

Parlons de L'ombre du chat. Pourquoi planter un décor SF ?

Je voulais une ville immense, dans laquelle on perdrait ses points de repères... Un peu comme le Los Angeles de Blade Runner ou le Paris de La foire aux immortels. Sauf que pour moi, il n'était pas besoin d'aller planter le décor aussi loin... Je vais rarement à Marseille, et je ne me repère que sur quelques itinéraires bien précis, malheur à moi si je m'en écarte ! Je voulais créer ce sentiment de malaise diffus chez le lecteur, comme s'il était égaré. En fait, si pour la saga Lançon j'ai eu recours à l'ambiance de la science-fiction, c'est dû essentiellement à deux facteurs : d'abord, les influences d'écrivains comme Philip K. Dick ou Serge Brussolo. Mais aussi parce que cela me permet d'exacerber les tensions, de fantasmer Marseille en toute liberté, de laisser place à l'imaginaire dans la construction de mon intrigue, bref, de faire encore plus noir !

D'où vous est venue l'idée du modus operandi du serial killer ?

En visitant une foire à la brocante. Chaque objet contient en lui-même une foule d'histoires. Pensez un peu à toutes les mains qui l'ont touché... Pourquoi ne pas rajouter une histoire de mon cru ? J'avoue avoir beaucoup aimé l'anecdote de la reine du jeu d'échecs, par exemple. Et puis, je suis sensible au côté dérisoire, voire stupide, du rituel de mon personnage du «  chat  »... Un assassin qui abandonne un vieux ticket de métro ou une chaussure, ça fait loufoque et on se pose des questions... Quel casse-tête pour ce pauvre inspecteur Canavese !

On arrive à votre deuxième roman, Désordres.

La base est aussi une histoire de serial killer. Seriez-vous intéressé par ce type de personnages ?

Oh, ça vient probablement de mes études et mon intérêt pour la psychopathologie. Et puis, c'est un sacré défi, autant pour l'auteur que pour le détective chargé d'enquêter... Mais j'ai bien envie d'essayer, à l'avenir, de décrire d'autres formes de comportements meurtriers. Seulement, je tiens à prendre la défense du thème du serial killer. On a dit que trop d'auteurs s'étaient trituré les méninges sur ce genre de personnages, avec des résultats pas toujours heureux. En général, c'est hélas plus que vrai. Mais il y a aussi d'excellentes exceptions, comme le Nécropsie de Hubert Corbin, ou encore La fureur dans le sang de Val Mc Dermid, pour ne citer que les deux premiers qui me viennent à l'esprit. Donc, peu importe le thème, ce qui compte, c'est la façon dont on le traite.

On y retrouve le même décor et les mêmes personnages... envisagez-vous une saga ?

Mes deux premiers romans avaient déjà pour héros Lançon, et ils se déroulaient dans cet univers du Marseille des années 2030... Par contre, ils ne comportaient pas d'enquête policière.

Quand Pierre Michaut, de l'Atalante, a lu « L'ombre du chat », il m'a demandé de les lui montrer, mais j'ai refusé : je ne les trouvais plus assez bons. Lançon m'accompagne depuis le début, c'est en quelque sorte « mon petit frère de papier », un alter ego dans le monde que je fantasme. Je vais essayer à présent de partir dans une autre direction, mais ce sera dur de me passer de lui. Qui sait, j'y reviendrai peut-être, plus tard ?  
 

Moins sérieusement, Lançon a toujours des problèmes de logement. Est-ce quelque chose qui vous travaille ?

Lançon hante un monde crépusculaire, moite, surpeuplé : l'enfer des mégapôles. Ce n'est pas un hasard si je l'oblige à vivre en multilocation  dans L'ombre du chat, ou si je le confronte à Catherine et ses amis dans Désordres. Lançon est un éternel cohabitant, c'est son destin... Egalement, il est un peu mon souffre-douleur. Je projette sur lui tout ce qui m'arrive et qui me reste en travers. Je ne dis pas que j'ai vécu tout ce qu'il vit, heureusement non. Mais toute expérience peut me profiter, même si elle est négative. J'appelle ça le « bénéfice secondaire », comme dans la théorie des névroses de Freud...

Trajectoires Terminales (couverture)

Dans mon prochain roman, Trajectoires Terminales, Lançon cohabite avec Eric Bertaud, un ami d'enfance qui entre temps est devenu junkie. Cela ne se fait pas sans difficultés... Et bien sûr, chacune de ces expériences de vie commune est passionnante pour moi en tant qu'auteur, c'est une sorte de laboratoire psychologique... Vous savez, la vision qu'on retire de la pratique de l'expérimentation en psychologie sociale, ça marque... On garde une façon un peu détachée d'observer les réactions humaines, un regard d'entomologiste. Mais il y a autre chose d'intéressant : le roman débute toujours par une mauvaise stabilité, née de compromis, de situations temporaires qui durent, s'enlisent. Et le moment où Lançon est obligé de bouger, de quitter cet état de promiscuité, coïncide toujours avec la mise en route de l'enquête, de la plongée dans le passé. C'est comme un catalyseur, un signe qui ne trompe pas : déraciné, livré à la rue, Lançon se met en chasse...

Il y a de nombreuses descriptions sado-maso... vous avez fréquenté ces milieux ou juste travaillé sur doc ?

Si je veux parler d'un milieu que je ne connais pas, je me méfie de mes fantasmes, qui peuvent n'être que des tissus d'idées reçues. Alors je me documente d'abord, quitte à prendre des distances avec le réel si j'en ai envie ; mais dans un  premier temps, je colle de près aux faits. De naturel anxieux, je suis un auteur extrêmement scrupuleux... Alors, je me fie aux méthodes d'investigation de la psychologie sociale. Je n'hésite pas, le cas échéant, à rencontrer les gens et les interroger. Egalement, les revues spécialisées constituent un très bon moyen de décrire une micro-culture. Elles emploient le langage groupal, elles exhibent les signes de reconnaissance et d'appartenance... Il y a aussi les reportages, les articles de fond, Internet...

Et la verrue de Griffier. Pourquoi commencer vos romans avec cette description ?

Griffier symbolise l'appareil policier, il est la force de décision qui met en branle l'enquête. En même temps, malgré sa pertinence et sa compétence, il est complètement égocentré, il ne pense qu'au bout de son nez. J'aime l'érotisme ambivalent de sa verrue, à la fois source de plaisir quasi masturbatoire et lieu de puissants fantasmes de mort. Dans L'ombre du chat, je me suis amusé à ouvrir le roman par un zoom arrière sur la verrue, puis j'ai terminé le récit par un zoom avant. J'ai pensé que les romans qui se situaient dans le même monde devraient obéir, avec une certaine souplesse, à la même logique.

Vos livres sont très documentés. D'ailleurs, à la fin, vous remerciez des psychiatres, docteurs, inspecteurs ... avez-vous passé beaucoup de temps à les préparer ? N'envisagez-vous pas de faire des choses plus « légères » ?

Comme dit Edmond Vachs, un de mes personnages, « Quand on aime, on ne compte pas ». Chaque fois que j'écris un roman, je met les paquet, je ne ménage ni mon temps ni ma peine, je ne garde pas de forces en réserves. Je suis au top niveau de mes capacités actuelles. En ce sens, je suis la même philosophie que Christian Vander. Pour moi, chaque roman est un cri, un acte d'amour. Je ne veux pas penser à l'après. Je ne cherche pas à faire carrière, je travaille pour la beauté de la chose. Maintenant, combien de temps, c'est difficile à dire... Je ne travaille hélas pas en continuité.

En fait, l'idéal pour moi serait de pouvoir saisir l'inspiration comme elle vient, passer une semaine d'affilée à écrire si j'en ai envie. Mais en réalité, c'est plutôt cinq minutes par-ci, cinq minutes par-là... Et quelques nuits blanches de temps en temps. Une chose est certaine : je ne lâche pas un texte tant qu'il n'est pas parfait. Alors, ça s'étale sur des mois et des mois. Quand à faire plus « léger », je ne sais pas... J'essaierai peut-être, mais je ne sais pas si j'y arriverai. J'ai besoin de développer tout un monde. J'adore les gros romans bien épais, passionnants, foisonnants, avec toute une galerie de portraits, des gens plus tordus les uns que les autres...

Votre prochain roman sort en fevrier. Pourriez-vous nous en dire quelques mots et nous parler de vos projets à venir ?

Trajectoires Terminales fait partie de la saga Lançon et on y retrouve une partie des personnages des deux précédents. Mais ce n'est pas une suite, à proprement parler. Plutôt un prolongement. Chaque roman que j'écris peut se lire indépendamment des autres. Bien évidemment, dans ce troisième volet, on retrouve Lançon et Canavese. Cette fois-ci on les lance sur les traces d'un amateur d'art qui bombarde les voitures sur l'autoroute avec des statues en bronze ! 

Et sinon, en ce moment, je suis engagé dans la production d'images sur ordinateur. Quand L'ombre du chat  était sorti, on m'avait demandé des photos de moi pour des interviews. J'avais eu envie de faire quelque chose d'étrange. Je suis donc allé plusieurs fois dans une usine désaffectée, et j'ai tout basé sur des éclairages inhabituels, des angles bizarres... Quelques temps après, avec un scanner, j'ai rentré ces images dans l'ordinateur et j'ai commencé à les retravailler, les tirer en direction de plus d'étrangeté. Les fantasmes sont apparus, libres, plus ou moins débridés.. Je me suis aperçus que je rejoignais le fantastique. Or, justement, mon épouse se commet dans ce genre. Alors, je lui ai proposé de rédiger des textes par-dessus mes images.

De là est né un projet commun, que nous avons appelé La maison malade. C'est un type qui fait un rêve à répétition, dans lequel il hante une étrange demeure, envahie de lianes et d'eau verte. Les variations sont nombreuses, mais le climat est toujours le même...Et puis, je caresse en ce moment l'idée de créer un site Internet, cela s'appellerait peut-être Le sourire noir, en hommage à Serge Brussolo. On y proposerait des textes, des articles de fonds, des chroniques de romans, des images... Affaire à suivre... 

Merci bien

(Interview réalisée par Christophe Dupuis)

Quelques Liens :

Sur l'auteur
http://sf.netliberte.org/html/auteurs/AUT-168.htm
www.integra.fr/marseille/Books/PBinterv.html
Sur Désordres
www.noosfere.com/icarus/borrelli/default.htm
Sur Trajectoires Terminales : 
http://w1.neuronnexion.fr/~bthierry/lecoindupolar/critiques/borellitrajectoires.html

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