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Interview
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Interview de Didier Daeninckx

 

-Didier Daeninckx, vous êtes un des premiers à avoir écrit un poulpe. Qu'avez-vous pensé quand J-B vous a présenté le personnage ?

Quand J-B m'a demandé d'écrire une aventure de Gabriel Lecouvreur, il m'a simplement dit qu'il me donnait « carte noire » et que je pouvais taper dans le tas sans crainte des conséquences. Résultat, Nazis dans le métro, et un académicien français qui tente de porter plainte contre le bouquin dès sa sortie... C'était mon quatrième procès pour délit de grande gueule. J'avais gagné tous les précédents dont un contre Vladimir Jirinowsky qui me doit toujours quelques millions de roubles que j'hésite à aller chercher à Moscou-sous-Poutine. Après, le bouquin sur l'ex-para Perrault m'a valu un dernier procès avec l'un de ses co-listiers, un autonomiste alsacien qui a créé une revue où s'expriment, par hasard, des opinions négationistes. Il s'est pris une pile en première instance, devant le tribunal de Papeete, à Tahiti, où il exerce son petit commerce de régionaliste strasbourgeois. Comme quoi la vie d'auteur vous fait voyager. J'attends, serein, le résultat de l'appel.

Nazis dans le métro de D. Daeninkx (Couverture)

Vous êtes le seul à avoir eu le droit d'en faire un second (vous avez même été sollicité). Qu'en pensez-vous ?

Je n'ai pas eu le « droit » de composer un deuxième poulpe : quand la baleine était dans la panade et que certains de ceux qui en avaient croqué se lançaient dans la chasse au cétacé, nous étions quelques uns à la trouver saumâtre. L'idée nous est venue de réécrire chacun un poulpe, pour la survie de l'espèce.
  Le problème, c'est que j'ai dégainé assez vite, j'avais une histoire sous la tentacule, et qui ne demandait qu'à s'imprimer. La baleine a trouvé du fretin entre-temps. Ce second poulpe est un donc le résultat d'un accident industriel maîtrisé.

Le poulpe a reçu, en général, un bon accueil de la presse (il y a bien eu quelques grincheux et s'est souvent posée la question de savoir si tout devait être publié... ) mais Jean-Pierre Deloux, dans l'humanité du 30 janvier n'y va pas avec le dos de la cuillère (il avait déjà tiré un triste constat il y a quelques années) et il me semblait intéressant d'avoir votre avis sur ses propos concernant la série.

J'aime bien l'Humanité que je lis quotidiennement, parce qu'on y voit une partie de ce qui rendu invisible par le système médiatique. Il n'en reste pas moins que le calcaire de la pensée s'y accroche bien et que l'actuelle direction de ce journal me censure volontiers en raison du combat contre les rouges-bruns qui y avaient largement élu domicile. Il suffit de reprendre une collection de l'huma pour retrouver, pleine page et avec le sourire, presque tous les crapoteux qui traversent Nazis dans le métro, les Edern Hallier, Besson, Garaudy, Limonov... Cela ne m'a donc pas étonné outre mesure de lire l'interview complaisante de Jean-Pierre Deloux, même si le 
café du matin, en gerbant, a fait quelques taches brunes sur le papier journal. Qu'on m'entende bien : je n'ai rien contre le fait qu'un ancien collaborateur du Figaro-magazine, de Minute, du Crapouillot fascistoïde (Karadzic, Haïder, au programme) soit interviewé par le canard de Jaurès. Le moins qu'on puisse faire, c'est d'informer les lecteurs sur la provenance de la bave à venir.

« Avec le poulpe, l'éditeur s'est offert un personnage structuré, et chaque aventure est à peu près la duplication de la précédente. On est plus dans la littérature d'expression mais dans le commercial... »

Pour être d'une totale franchise, j'ai lu, à ce jour, une vingtaine de poulpe : chaque lecteur zappe à sa manière, et les aventures en Albanie de Douyère, celle en Gal-land de Roger Martin, celles en Serbie de Kazar, le Dijon de Vallet, les travelos de Simsolo, le Zyklon de G-J. Arnaud, celles en Ibérie de Andreu Martin, par exemple, n'ont rien à voir avec les sentences de Deloux et infirment le propos du ronchon. Que certains auteurs se copient-conforment et cèdent devant la Bible, c'est évident mais à mon avis cela ne condamne pas le projet de J-B. Peut-être aurait-il fallu être plus directif, je suis un peu comme ça de nature, mais l'on sait que le créateur du poulpe n'a jamais baissé le pavillon de la flibuste et qu'il ne se vit pas, même sous la pression de la mode, en « libéral-libertaire ». Seul le deuxième terme le définit, et ça a des conséquences ! Qu'on l'attaque sur ce point, si on se sent de taille.

J-P Deloux ne croit pas à une politique d'auteur, pour lui « ça fait partie du coup éditorial [...] Le Poulpe a été défini par J-B Pouy, et à partir de là [...] tout est aiguillé par le directeur de collection [...]. Il faut que le personnage soit fidèle à l'image qu'on veut donner de lui, et quand on achète le Poulpe, on achète une image, mais une image vide de chair ; car tout a été défini au départ. L'artisanat c'est noble, la « confection », je ne sais pas trop. »

Pour exister, le poulpe a utilisé le coup éditorial. Si le projet avait été de s'installer dans le paysage, de faire sagement partie du décor, l'éditeur aurait capitalisé ses stocks-options et n'aurait joué que la carte Libé-Inrock, avec des coups à la Goupil, des coups à la Lefort, pourquoi pas un poulpe de Nagui, un Chéryl de Bruno Gaccio, un Velours de Miss Météo ? Au lieu de ça, il a continué à y aller au flanc en donnant la moitié de l'espace aux amateurs. Pour écrire mes deux poulpe, je me suis royalement foutu de la Bible, seule comptait la hargne, la volonté d'en découdre avec une histoire. La shampouineuse y joue les utilités, Pédro fournit deux ou trois fausses cartes, Gabriel avale des bières dont, jamais, personne ne trouvera la trace sur aucun menu, pas même une allusion au zinc de 36 dans le deuxième... La contrainte joue comme une formidable invite à la transgression.

Ethique en Toc de D. Daeninkx (Couverture)

Il est aussi en désaccord avec le fait que chaque auteur apporte sa touche et son style au livre « Pas dans la mesure où on dit à l'auteur ce qu'il doit faire : là on entre dans le cadre de la littérature alimentaire. Ce qui est assez paradoxal pour une littérature qui se dit engagée... »

La première chose qui me vient à l'esprit, c'est la comparaison avec le cinéma, la manière dont des individus se sont appropriés les personnages de Chandler, de Hammett, de Higsmith, de Thompson. La table dressée, le couvert mis, chacun y a apporté son boire et son manger. Alimentaire ? Vous avez dit alimentaire mon cher Watson ?

Il poursuit avec « Quand il y a un personnage fixe, ce qui devient important, c'est de trouver un lieu, voire un milieu qui n'ait pas été traité dans la mesure où l'on joue toujours sur une certaine « dépaysation », pour encore surprendre les gens, alors, évidemment, les lieux les plus insolites sont à priori les plus insolites [...] Et on arrive à une aberration : le polar touristique. »

Le polar touristique existe, dans une autre collection assez pompée sur le poulpe, à l'enseigne du routard. Ca ne fait de mal à personne. Ce fut beaucoup plus crado quand un « alias » nauséeux rôdait au Fleuve Noir mais Deloux est discret sur ce personnage qui aurait pu faire les beaux jours des suppléments estivaux des canards auquel il collaborait. Avec le poulpe pas de visite guidée des bleds traversés : on promène sa carcasse dans les paysages qu'on veut, sans obligation de promotion. Et, quand même : j'ai découvert l'Amérique grâce aux polars « régionalistes » : je pense profondément qu'il n'y a rien de plus universel que le local. En cas de contestation, je prends Faulkner comme témoin. Et Jim Thompson.

Quant aux personnages de série « Là, on touche à l'ambivalence du genre ; on a l'air de faire de la provocation, de mener des grands combats contre l'ennemi mais, de fait, ces personnages sont tous très politiquement corrects. On prend des héros dont la croisade est relativement limitée, c'est encore un leurre, cette littérature qui serait « en révolte », ou « un constat social. » C'est juste du domaine de la reprise pour la galerie, qui ne participe jamais d'une véritable prise de conscience. Les héros sont absolument dans l'air du temps, on fait juste croire à chacun que tout le monde peut être un héros ou un écrivain. »

Je me méfie toujours des gens qui utilisent l'expression « politiquement correct ». L'occurrence de ces deux mots est la plus forte dans la presse que je n'aime pas, et elle vise, presque toujours les militants antiracistes, comme si les combattants de l'égalité, de la fraternité étaient devenus les cibles à abattre, et que la vérité des rapports humains résidait dans une sorte de cynisme où la part est belle à celui qui domine. Que Deloux se rassure : il ne s'agit pas de porter le combat social dans la littérature, et notre manière, à beaucoup, de faire vivre le poulpe est bien de pointer la complexité du monde sans se bercer de l'illusion que la générosité d'un justicier de papier nous exonère de la confrontation avec le réel. La littérature, lumière vacillante dans la nuit des barbares, n'en demeure pas moins une arme chargée de futur.

Nazi dans le métro, de Didier Daeninckx (Edition Allemande : Nazi in der metro) Ethique en Toc, de Didier Daeninckx (Edition Allemande : Und die alte Linke)
Editions Allemandes du Poulpe

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