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l'ours-polar |
Interview de Jacques Vallet
F
Il n'a pas hésité
à prendre sa plume
pour répondre à
nos questions
Jacques Vallet, on ne sait pas grand chose de vous, pourriez-vous
vous présenter ?
Que sais-je moi-même ? Plus j'avance en âge, moins j'ai
de certitudes. Je suis né en 1939 à Stenay, dans la Meuse.
Depuis, il s'est passé beaucoup de choses qui ne me définissent
pas obligatoirement. Il y a eu notamment la guerre d'Algérie...
Puis un voyage par la route au Moyen-Orient (Grèce, Turquie, Syrie,
Liban, Jordanie), jusqu'à Jérusalem. En faisant des petits
boulots, ici et là... Ensuite, j'ai gagné ma vie principalement
en écrivant : dans les journaux, les revues. J'ai été
responsable d'une revue d'industries pendant dix-huit ans, j'ai été
cinq ans à Libération et, actuellement, je fais des piges
littéraires pour les Inrockuptibles... Mon parcours est plutôt
atypique. J'ai écrit de la poésie, j'ai fait du théâtre...
J'ai aussi fondé et animé de 1977 à 1984 une revue
d'art, Le Fou parle, qui était une plate-forme de liberté.
Les trente numéros ont réuni trois cent écrivains
et trois cent peintres et dessinateurs, dont les plus grands graphistes
de l'époque : Desclozaux, Roland Topor, Siné, Ralph Steadman,
Roman Cieslewicz, Willem, Sempé, Zeimert, Milshtein... Parmi les
écrivains, Georges Perec, Rezvani, André Laude, Jean-Luc
Hennig, André Rollin... Impossible d'énumérer toutes
ces rencontres !
Vous arrivez au polar par un poulpe, L'amour tarde à Dijon.
Est-ce lié au fait que vous participiez à l'émission
« Des papous dans la tête » sur France Culture
avec J-B Pouy ? Aviez-vous déjà écrit auparavant ?
Jusqu'ici, je n'étais guère intéressé par
l'édition d'une oeuvre personnelle. Désormais, j'en ai besoin
pour vivre. Jean-Bernard Pouy m'a proposé d'écrire un Poulpe,
par amitié. Il connaissait bien l'aventure du Fou parle. Mais effectivement
c'est à l'émission de Bertrand Jérôme qu'il
m'a fait cette offre, comme à plusieurs autres membres de la tribu
des Papous. J'ai tout de suite sauté sur l'occasion : le héros
libertaire m'allait comme un gant. Le titre devant être un jeu de
mots, je suis parti d'un exercice de contrepétrie que j'avais fait
pour la radio. Quant à l'écriture, c'est ma vie même.
Parallèlement à mes activités, je me suis toujours
préparé à l'écriture : je n'ai jamais cessé
d'écrire. Je me suis même imposé longtemps, quelles
que soient les circonstances une pratique quotidienne de l'écriture.
J'avais devant moi cette phrase de Baudelaire (c'est un poète qui
m'a longtemps accompagné) : "L'inspiration est décidément
la soeur du travail journalier.". J'ai, de plus, toujours fréquenté
un milieu artistique. Mes amis ont été des gens de théâtre,
des chanteurs, des peintres ... J'ai publié plusieurs recueils de
poèmes. Puis des livres sur la peinture : Daniel Vassart, Arslan
...
Dans ce poulpe, vous faites de grandes descriptions architecturales
de divers monuments. L'architecture est-elle une de vos passions ?
Le dénominateur commun de toutes mes activités est un
appétit pour toutes les formes de vie, une curiosité dans
tous les domaines. J'ai écrit sur les routes, les ponts, les bâtiments,
les villes. L'intérêt pour l'architecture vient de là.
Mais j'ai aussi écrit sur la vie économique, la politique
étrangère, les faits de société. Les arts,
les spectacles. Avec toujours en vue une parole libre et la libération
de l'homme. La parole pour communiquer, pour libérer. Je me suis
très vite aperçu qu'un mot, une phrase pouvait changer la
vie de quelqu'un. Maintenant, je fais des romans policiers - disons des
romans noirs, car mes romans sont plutôt antipoliciers - dans le
même esprit. Et l'apprentissage que j'ai eu dans des domaines différents
me sert. Je m'efforce que le cadre de mes romans soit le plus précis
possible pour que l'ensemble soit crédible. Il me semble que c'est
assez réussi avec Dijon où je n'avais jamais mis les pieds
auparavant. Comme dans mon roman, j'ai débarqué un après-midi.
Puis me suis laissé happer par la ville pendant trois jours. J'ai
découvert assez vite les lieux. J'ai, disons, développé,
une certaine acuité de perception qui résulte de nombreux
reportages que j'ai réalisés. Il y a effectivement un côté
reportage que j'affectionne dans le roman.
Toujours dans L'amour tarde à Dijon on tourne beaucoup
en rond, en voiture à Dijon, dans divers escaliers... est-ce un
petit exercice de
Oui. Il y a également dans l'écriture une part de jeu.
On s'amuse à raconter des histoires. Le côté ludique
du Poulpe était évident puisqu'au départ chacun reprenait
le héros de Jean-Bernard Pouy et certains personnages avec un cahier
des charges bien précis - comme le jeu de mots dans le titre, l'auteur
que chacun pouvait choisir pour l'accompagner pendant son enquête,
la déclinaison des bières, la scène du café,
etc. Moi, j'ai ajouté d'autres contraintes que l'on n'est pas obligé
de voir. La circulation qui tourne en rond (c'est une réalité
de Dijon) m'a fait pensé à l'escargot de Bourgogne, aux spirales,
aux torsades, aux escaliers en vis... J'en ai mis un peu partout.
J'ai également choisi au départ - à cause de la moutarde
peut-être - deux couleurs dominantes, le jaune et le blanc (d'où
l'énumération des bières blanches). Et, c'est curieux,
j'ai découvert après avoir écrit le roman la phrase
de Xavier Forneret (écrivain qui a vécu à Dijon) :
« Le monde aimera toujours, de prédilection, certaine couleur
blanche et jaune ». Et je l'ai mise en exergue, comme une
clé. Perec s'imposait ainsi des contraintes inouïes, un jour
je lui ai demandé pourquoi, il m'a répondu : « parce
que ça me donne davantage de liberté ! ». Il y
a d'ailleurs d'autres contraintes dans le roman, mais ce n'est pas important
qu'elles soient découvertes.
Votre deuxième roman est Pas touche à Desdouches.
Le nom du héros est-il un clin d'oeil au Docteur Louis Destouches
?
Dans ma rue, un bar-hôtel s'appelle « Des Douches ».
Je passe tous les jours devant. Une nuit, je me suis réveillé,
bien avant que je songe à écrire des romans noirs, avec ce
titre de polar Pas touche à Desdouches
que j'ai griffonné sur un papier. Une fois encore, je suis parti
de ce titre pour bâtir un personnage que j'ai immédiatement
baptisé Othello Desdouches. Mais pour être sincère,
et je ne le dis qu'à vous, surtout ne le répétez pas,
j'ai toujours su que je rendais hommage à Louis-Ferdinand Céline.
Un écrivain majeur du siècle. Et quelqu'un qui compte toujours
pour moi. Je ne partage pas ses options, mais je me fous des animosités
de certains à son égard.
On y retrouve beaucoup de sorcellerie, où avez vous puisé
votre inspiration ?
Décidément, c'est un interrogatoire policier. Vous me
traquez ? Il y a des thèmes qui sont importants à certains
moments. Les sectes, notamment. J'ai été frappé par
le développement du satanisme aux Etats-Unis... Et comment en cette
fin de siècle, sans foi, sans points de repères, une certaine
jeunesse européenne mordait à l'hameçon mortel de
l'endoctrinement religieux. Moi, je suis athée. Un numéro
du Fou parle était consacré à l'athéisme, où
je me déclarait « athée jusqu'au plus profond tressaillement
de mon être. En tout et partout. Comme une pierre, comme une fleur,
comme un dromadaire ». Il citait Nietzsche qui voyait dans le
christianisme « la souillure immortelle de l'humanité ».
Le satanisme, c'est l'envers de cette médaille de merde. Par hasard,
mon lieu de naissance - Stenay, appelé autrefois Satenay - la ville
de Satan. Comme je plaçais l'action de mon roman dans cette région,
je me suis documenté sur les ravages du satanisme en France. J'ai
interrogé notamment l'ADFI (Association pour la Défense des
Familles et de l'Individu) qui combat les sectes...
Vous m'avez dit que pour ce livre, vous aviez pris comme cadre
la région où avait vécu votre père. Les descriptions
du temps et des paysages ne donnent vraiment pas envie d'y aller. Est-ce
si proche de la réalité ou gardez-vous de mauvais souvenirs
de là-bas qui auraient amplifié le côté glauque
de vos descriptions ?
Le nord de la Meuse - entre Sedan et Verdun - est une région
particulière. Elle n'avait jamais été décrite
auparavant. Sinon, pendant les guerres. C'est quand même un territoire
où en un siècle on a emmené mourir des générations
et des générations ! Mon est né là, dans la
citadelle de Montmédy - qui existe toujours et que je décris.
Et c'est là que s'arrêtait la ligne Maginot à la dernière
guerre et c'est là que les Allemands sont entrés. Et c'est
encore par là qu'ils sont repartis lors de la bataille des Ardennes.
Donc des millions de morts. Je me suis aperçu qu'au cours des siècles
ça toujours été un lieu de passage et d'invasion.
J'ai retrouvé à Marville un ossuaire du XVe siècle
qui expose 40 000 crânes... Ca ne vous fait pas penser à Douamont
et à ses milliers d'ossements des morts de Verdun ? Bon, je veux
dire que cet endroit n'est pas d'une gaieté folle et qu'il est marqué
depuis toujours par les forces occultes et par la mort. Pas touche à
Desdouches essaie d'exprimer ça. Je n'invente rien. C'est un lieu
sauvage où s'inscrit depuis toujours la sauvagerie de l'homme. Encore
aujourd'hui, on découvre des morceaux de cadavres éparpillés
à la frontière belge et on soupçonne l'activité
d'une secte satanique. Alors, il n'y a rien de
Pour votre troisième livre, La trace, direction La Martinique.
Je crois que c'est la région de votre mère. Vos attachements
familiaux marquent-ils chacun de vos romans ?
Non. Je n'ai pas le fibre familiale. Mon premier roman se passait en
Bourgogne, région avec laquelle je n'ai aucune attache. Cependant,
vous avez raison, pour les deux suivants : Pas touche à Desdouches
est dédié à mon père, qui était horticulteur
à Stenay. Et La Trace à ma mère, qui est née
à Fort-De-France au début du siècle et a vécu
une trentaine d'années aux Antilles. Maintenant, la chose étant
faite, le prochain n'aura plus rien à voir avec ma famille.
Othello part sur les traces familiales, est-ce pareil pour vous
?
Si je veux vraiment répondre à vos questions, je suis
obligé de parler de choses intimes. Et ce n'est pas mon style. Cependant,
l'avoue que je découvre à l'approche de la soixantaine mes
racines. Sans doute, suis-je le dernier de la famille qui puisse les transmettre
aux générations suivantes. Personne autour de moi, dans ma
famille, n'a jamais parlé des origines. De ce "chaud et froid" que
j'ai. Mon père et ma mère sont morts sans jamais vraiment
évoquer leurs parents. Et jusqu'ici je me suis considéré
un peu comme quelqu'un ne venant de nulle part. En allant à la Martinique,
je découvrait tout un pan de ma mémoire obscure. Un branche
familiale qui avait émigré il y a des siècles.
Vos descriptions des paysages de la Martinique sont aussi magnifiques
que sont dures celles de la société. Que pensez-vous de cette
Cette fois, j'avais envie d'aborder le problème de la colonisation
et du racisme. Je n'ai pas voulu le traiter d'une manière simpliste
: les bons d'un côté, les méchants de l'autre. La société
antillaise actuelle porte sur elle la honteuse, la puante tache de la colonisation.
« Pour combien de siècle encore ? » Je suis allé
dans l'île une dizaine de jours, sans avoir lu aucune documentation
auparavant. Sans préparation. Comme une éponge, qui s'imbibe
des différentes communautés, de leurs antagonismes. J'ai
rencontré des gens de tous les milieux, qui m'ont parlé en
confiance. Et j'ai enregistré un racisme pervers tous azimuts. Mais
je ne veux pas prendre parti dans cette complexité de la société
antillaise. Un regard extérieur peut témoigner, mais n'a
pas à porter de jugement. Le roman le dit clairement : «
Othello s'en foutait de leur boxon. Il avait d'autres chats à fouetter.
Il ne voulait pas prendre en charge le passé qui avait l'air de
les rendre tous mabouls ».
Le rhum tient une part importante dans ce livre. En avez-vous
autant abusé qu'Othello ?
J'en ai usé. L'alcool est un des grands plaisirs de cette vie
- qui n'en distribue pas des masses. Raison pour laquelle tant de gens
le fréquentent quotidiennement et acceptent d'en payer le prix.
Je suis à l'aise dans cette dimension, mais me garde d'en être
victime. Pour l'instant.
Avez-vous assisté aux combats de coqs ?
Non. Mais j'ai recueilli des témoignages précis. S'ajoute
à ça ma connivence avec les animaux. Je suis contre la chasse
et les jeux sanglants.
Pensez-vous garder ce personnage d'Othello Desdouches ?
Peut-être pas dans le prochain roman. Après ? Ca dépendra
du succès. Je n'écris qu'en fonction d'un contrat, de l'argent
que l'on me propose. S'il y a demande, j'ai déjà en tête
une aventure que j'aimerais découvrir avec lui.
Voyez-vous quelque chose à rajouter ?
Je ne sais quelle forme prendra mes romans à l'avenir. Il est
clair que la part "polar" n'est pas la plus essentielle de mon écriture.
Cependant c'est, pour l'instant, ce que j'ai envie de faire... Comme une
forme de résistance. Je crois que cette époque vouée
à la laideur, gangrenée par l'argent, ne laisse pas beaucoup
de place pour l'humain - et les artistes, qui mènent un combat de
conscience et de refus, sont aujourd'hui particulièrement menacés.
Il se peut même qu'on revienne vers des temps redoutables. Alors
? Ecrire, pour moi, c'est rester vigilant.
Merci beaucoup
Interview réalisée par Christophe Dupuis