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l'ours-polar |
Jacques Vallet, nouvel interview
Bon, on va commencer par une question à rallonge, car elle concerne le même sujet. Dans ce livre, tu n'es pas tendre avec le milieu du journalisme (et comment pourrait-il en être autrement) c'est tout l'enseignement que tu as tiré de ton expérience journalistique? Tu as arrêté ce métier écoeuré? (Tu as aussi bossé quelques temps aux Inrock'... déçu aussi). Pour finir tu dis :« les journalistes parlent trop souvent des choses qu'ils ne connaissent pas physiquement », aurais-tu quelques anecdotes croustillantes?
Le sujet principal d'Une coquille dans le
placard est évidemment le journal, la vie dans le
journal, les rapports tendus, voire hystériques, que l'on rencontre
dans toute activité à risques pratiquée dans l'urgence.
C'est un reportage à l'intérieur d'un quotidien, au coeur
même de la fabrication d'un journal dont le public, en général,
ne perçoit que la face lisse, bien propre. Ce qui m'intéressait,
c'est de montrer les dessous, les coulisses. Et la violence insoupçonnable
des rapports humains. L'ambition, la jalousie, la méchanceté
dont ses sert le pouvoir pour se renforcer.
Cela dit, ce n'est particulier à la presse : on retrouve ces
rapports dans la plupart des institutions. Il y a des gens qui se servent
des mécanismes du pouvoir pour régner ; il y a la masse des
gens peureux qui râlent en douce, mais laissent faire les puissants,
les chefs ; et il y a quelques individus dont le regard fait peur, et qu'on
écarte. Pourquoi ? C'est l'interrogation du roman, et je n'ai pas
de réponse. Il y a dans les collectivités humaines, beaucoup
d'hypocrisie, et ceux qui ne sont pas dupes représentent toujours
un danger : alors c'est normal, on cherche à les éliminer.
Ca prend ici du relief, parce que la presse, les médias, les
journalistes sont en général des donneurs de leçons,
et avec cette vision de l'intérieur, ils sont pris la main dans
le sac. Les journalistes ne valent pas mieux que les autres, souvent ils
sont plus prétentieux, leur univers est détestable.
Ce roman est, bien sûr, le fruit de mon expérience dans
plusieurs magazines et journaux. Cependant, contrairement à ce que
sous-entendent tes
— je ne juge pas le journalisme
— je n'exprime aucune déception
— il ne s'agit en aucun cas d'un règlement de compte ou d'une
caricature
Reprenons ces trois points :
Je ne juge pas, je montre comment des dérives se sont produites,
ici et là, dans un certain journalisme, disons, engagé. (Je
ne peins pas « un » journal particulier, mais me sert
d'éléments venant de différents organes de la presse.)
Le roman noir s'apparente ici au roman de moeurs, et rejoint (toutes proportions
gardées !) un Balzac.
Je ne suis pas écoeuré : je témoigne, je lève
des coins du voile, et je fais part d'un vécu (je m'interroge, car
je suis aussi partie prenante dans cette histoire!) J'ai vu la presse à
plusieurs niveaux : j'ai dirigé des journaux, j'ai effectué
d'innombrables reportages, et j'ai été un rouage dans la
fabrication. Je n'ai pas « arrêté ce métier
écoeuré », comme tu le suggères,
Au moment où « Le Miroir prenait l'eau de toutes
parts », c'est la crise totale et c'est tellement fou que ça
parait caricatural. Alors, pour un néophyte comme moi, il y a un
peu de fiction ou c'est la triste réalité ?
C'est un roman, et donc bien sûr une fiction, mais tout ce qui
est raconté concernant le fonctionnement du journal, le comportement
des gens, leur caractère, et même les discours qu'ils tiennent,
tout est rigoureusement exact. Cependant pour être crédible
dans un roman, tout doit être modéré, atténué,
adouci, tempéré. Relisons Boileau : « Le vrai peut
quelquefois n'être pas vraisemblable ». Lorsque le vrai
est livré brut, il paraît trop outré, il n'est pas
supportable. C'est la vérité livrée sans art qui paraît
caricaturale. Je n'ai donc pas forcé le trait, je l'ai réduit.
Je voudrais ajouter qu'il n'y a aucune charge dans la description des
personnages, chacun évolue dans sa dimension humaine.
Dans ce livre, il y a un fort passage sur les enfants nés
pendant la seconde guerre mondiale (j'arrive pas à retrouver la
page, faut que je cherche)... c'est toi que tu évoques indirectement
?
C'est « Gérard Charmilles appartenait à cette
génération sceptique de la guerre. Ils avaient vu le monde
adulte vaciller dans leur enfance, et même tomber dans l'ignominie.
Jamais ils ne s'étaient sentis protégés par lui. Au
contraire. Le sentiment d'insécurité leur avait inculqué
la plus vive des méfiances. Ils n'avaient pas la moindre estime
pour l'homme, et encore moins pour les valeurs qui avaient permis une telle
faillite. Ils se refusaient d'entrer dans le jeu social. Restant encore
accrochés à des valeurs d'enfance, absolues, sans compromission.
Même s'ils savaient qu'elles n'avaient plus cours, que c'était
sans espoir. Pour rien au monde, ils ne seraient devenus ces adultes satisfaits
d'eux-mêmes qui le entouraient... Bien sûr, ils auraient aimé
comme les autres être reconnus pour ce qu'ils étaient, avoir
une certaine réussite. Mais ils n'en avaient pas pris le
Il ne s'agit pas seulement de moi, mais de la plupart des gens que
j'ai connus qui étaient nés juste avant la guerre. Et qui
n'ont jamais été récupérés. Je pense
à des artistes comme Roland Topor, Michel Parré, à
un poète comme André Laude, aujourd'hui disparus... Beaucoup
d'autres toujours vigilants, et rebelles. Beaucoup de cette génération
ont été réunis dans la revue que je dirigeais, Le
fou parle.
Si tu as quelque chose à ajouter...
Oui, pour conclure, il faut souligner que ce roman n'est pas seulement
un roman de moeurs, mais un polar à suspense. Et que tous les éléments
du fonctionnement du journal sont imbriqués dans l'évolution
de l'intrigue, comme dans un puzzle qui peu à peu se met en place.
Interview réalisée par Christophe Dupuis