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La Daube
l'ours-polar

 

Par Françis Mizio

La biographie de l'auteur

 

>La Daubologie, néo-science informelle et fielleuse de l'identification de la daube littéraire au simple aspect du livre va bientôt prendre son envol pour la postérité, maintenant que sa légende et ses fondations sont bâties pour les siècles des siècles par votre humble serviteur -et néanmoins cochon de lecteur payant comme tout un chacun. En effet, avec ce dernier volet « la biographie de l'auteur » c'est sur un lectorat probablement éploré que nous refermons définitivement cette rubrique culte que même les Américains nous envient. Une autre, prochainement, prendra ici place. On s'interroge : de quoi traitera-t-elle ? Du comportement des auteurs en festival ? En dédicaces ? Tracera-t-elle des portraits unversels et intemporels de lecteurs (« typologie du cochon de payant ») ?, dissertera-t-elle sur les tics du polar (mais Jibé Pouy a posé des fondations impressionnantes sur ce thème...), glosera-t-elle sur les phrases du cinéma de série B (un vieux projet collectif d'édition qui devient quoi, au fait, Jibé?) ? A vrai dire on en sait rien. Envoyez des thèmes à mizio@fr.fm, qui pourra mettre en marche son générateur de néo-sciences ou alors postulez pour la place, bande d'ambitieux. Mais on vous prévient : c'est un vrai boulot et un bouclage par trimestre, ça ne paraît pas comme ça, mais ça revient souvent. Bon allez, on y va :
 

La biographie de l'auteur

La biographie de l'auteur, tout comme la prière d'insérer sur la quatrième de couverture est sensée nous édifier sur la qualité du roman que nous manipulons fébrilement. Tout ces éléments subliminaux sont concoctés par un service spécial ultra-secret qui dépend directement du PDG de la maison d'édition et fonctionne par code en se faisant des poignées de mains secrètes comme les rappeurs de banlieue. En général, deux voire trois personnes cagoulées se réunissent dans la cave de la maison d'édition pour rédiger la biographie de l'auteur. Leur mot d'ordre est simple : « on a publié une daube, mais il faut que ça se vende. Alors on va leur bourrer le mou ». Cette formule que nous tenions de source sûre ; source qui vient bizarrement de succomber dans un étrange accident de voiture ; est la clef 
de voûte du processus. 
Sachez décrypter la bio de l'auteur pour savoir si on vous ment (« tu as le droit à la vérité camarade  ») et par là, si ce livre est une daube à laisser croupir sur l'étalage avec les 557 romans de la rentrée ou à balancer d'un geste auguste, grave et emphatique dans le DaubatorTM ; appareil de salubrité et d'hygiène mentale -sinon pécuniaire- en voix de reconnaissance d'utilité publique. 
 

Analyses de cas 

1) La biographie « chaotique qui finit en journalisme ». 
« Avec ce premier roman qui met un coup de pied dans le pavé de la mare de la fourmilière du landernau, Ladislas Krobka prouve, s'il en était besoin, son immense talent. Après un parcours chaotique (livreur de gambas surgelées ; tartineur de crème solaire ; conseiller financier à l'UNESCO) ce toiletteur pour chien qui a été aboyeur au Palais des congrès de 
St-Plouquin-sur-Moselle est depuis journaliste pour un grand magazine contemporain. Sa parfaite connaissance des milieux interlopes lui a fourni la matière de ce polar qui ne mâche pas ses mots sur le scandale récents des carambouilles de trottinettes dont la mode fulgurante n'est pas sans cacher des intérêts occultes et mafieux. Un livre nécessaire ». 
Enfilons notre blouse, fichons-nous une épingle à linge sur le nez et analysons le corpus en traçant deux colonnes. A gauche, les mots clefs de la bio, à droite, leur véritable signification ou leur ambition subliminalo-sémiotique (*) : 

 

Mot de la bio analysée
Vrai sens/exacte vérité 
« Parcours chaotique »  Incompétent en tout l'auteur a vécu, vit et vivra d'expédients et des allocations en trafiquant son dossier. C'est un parasite et un faux chômeur et si ça se trouve il mange ses crottes de nez. Le fait que le parcours ait été chaotique et que l'auteur ait fait mille boulots délirants (alors que parfois ses lecteurs qui en bavent d'admiration en on fait deux mille fois plus) n'apporte rien à la présumée qualité de l'ouvrage. Pourtant on nous le sert à chaque fois. Pourquoi ? Parce que cela suppose que l'auteur a une bonne connaissance du monde ; laquelle doit enrichir son oeuvre et aiguiser son acuité. Il n'en est rien : tout au plus cela nous révèle qu'il habite près d'une mission ANPE ou d'une agence d'interim et qu'il se fait virer de partout, ce con. Bientôt de sa maison d'édition?
 
« Livreur de
gambas
surgelées »
La livraison est un grand classique, archétype du petit boulot accessible à tous. On veut vous rendre l'auteur proche de vous, même si vous n'avez jamais rien livré vous-mêmes, bandes d'incapables. Mais si ça se trouve un jour vous avez ouvert la porte à ce type venu vous livrer quelque chose. On veut donc vous placer en position de supériorité par rapport à l'auteur qu a été votre prestataire humble. C'est donc de la démagogie. N'y cédez pas.
 
« aboyeur »  Il faut toujours que dans la bio il s'y trouve un métier surprenant, décalé, un peu désuet. Cela signifie que l'auteur (cette feignasse, rappelons-le) a été prêt à tout pour s'en sortir. Toutefois, on doit deviner dans les lignes qu'il était porté depuis toujours par un besoin de s'exprimer en direction de ses semblables quitte à ce que ce fut très éloigné de ses aspirations littéraires, qu'il avait aussi une attirance pour le monde de la communication et qu'il se soit frotté aux grosses légumes. On peut remplacer « aboyeur » par « rédacteur de fiches cuisines pour un grand cuisinier » ou « auteur de mémos pour un astrologue ». Le poste de conseiller à l'UNESCO, c'est un coup de bol. Ou en vérité un CDD-photocopie. Enfin, ce genre.
-  
« Journaliste » Ce mot ne veut rien dire. Ce métier est fait par des gens qui ne savent rien faire, mais ont de la tchatche. Il faut simplement retenir qu'on veut ici prendre en otage les auréoles de Jack London, Lucien Bodard, Albert Londres, Albert Camus, Pripulitzer, Alphonse Scoop et Tintin Reporter. C'est de la publicité mensongère.
 
« grand magazine
contemporain »
Probablement « Le placoplâtre facile hebdo » ou « Mon jardin mon gravier mensuel ». 
 

Sur la base précédente, toi aussi camarade cherche comment on te ment. Comment par procédés allusifs, images en creux et autres combines de maquignon, on te bourre le fameux mou pour te délester de ton argent gagné à la sueur de ton front et de tes petits bras musclés. Vas-y, lecteur, décryyy-yyyypte ! Prouve que tu exiiiii-iiiste ! Tu vas voir, c'est facile en lisant la bio de se douter de ce que tu vas trouver dans le livre (on se tutoie, hein?) 
 

Voici d'autres typologies de biographies daubiques livrées à ta sagacité :

2) La biographie dite « auteur stable pour roman palpitant ». 

Né dans le bas Quercy, Maurice Dugommier est resté très attaché à ses racines qui plongent profondément dans son passé rural et familial traditionnel empreint aussi de chasse et de pêche. C'est après une remarquable carrière au Gaz de France, où il s'occupait du problème tortueux la gestion des stocks de canalisations coudées, qu'il a pris sa retraite. Période qu'il met à profit pour créer son personnage de l'Inspecteur Albert, inspiré librement de son collègue Albert avec qui il partagea durant 35 ans la même corbeille à papier.

3) La biographie type « Vieille dame anglaise ». 

Après avoir élevé ses quatorze enfants Margaret Dugowson a décidé de faire éclater toute sa fantaisie et sa cruauté dans la rédaction de romans à énigme. Créatrice du concept dorénavant mondialement célèbre du « polar-confiture », elle coule des jours heureux et modestes dans une vieille bâtisse victorienne et retapée à trente-sept kilomètres d'où Georges Simenon écrivit « L'Horloger de St Paul ».

4) La biographie dite du « pro talentueux multicarte ». 

Journaliste, scénariste, compositeur, musicien, réalisateur, dessinateur, directeur de collection, homme de télévision et de radio, chef d'entreprise, collectionneur de boîtes d'allumettes, joueur de pipeau émérite, spécialiste de musique ambiant-trash-pakistanaise et amateur érudit de planche à roulettes, Alain Wiazemivky a aussi été remarqué pour son rôle du gardien de zoo dans « Le homard vous en pince une » présenté en sélection avant garde 
à Cannes l'an passé. Il vit et travaille à Paris et se ressource régulièrement à Kuala-Lumpur où il entretient amoureusement son cabanon de jardin.

5) La biographie « laconique, mais qui n'en suggère pas moins » 

L'auteur est un ancien commissaire de la DGRTFFUUHNBHOMPP.

6) La biographie « laconique mais mystérieusement attirante donc au  potentiel caché » 

L'auteur travaille à la SNCF. Il vit à Paris. Il écrit à Poitiers. Il mange à St Pierre-des-corps. Il dort à Angoulême.

7) La biographie « sans équivoque, mais la précision est utile et tendance». 

L'auteur est une femme.

8) La biographie « ceux qui savent de quoi je parle sauront ce que je veux dire pour lectorat d'habitués ». 

L'auteur, passionné par la mode, les bijoux, le thé vert, l'Opéra et Marylin Monroe, se promène souvent la nuit dans les allées du Bois de Boulogne. Il y puise notamment son inspiration.

9) La biographie « qui veut en dire long ». 

Ex-terroriste, assassin, criminel, voleur, menteur, violeur, tricheur, non-payeur de la redevance télé, l'auteur a purgé une peine de trente sept années de prison. Dorénavant en règle avec la société il estime devoir oublier le passé et c'est pour cela qu'il nous livre cet ouvrage de fiction. La liste serait longue et la place, cruellement, nous fait défaut. Finissons seulement sur deux biographies d'auteurs de polar que vous pouvez identifier vous-même (on se revoussoie ?) : 

1) « Fils de ministre, ancien ministre de l'intérieur et ouvreur d'église à la hache, l'auteur exprimer ici sa conception éclairée du monde moderne ».

2) « Magistrat depuis des années, l'auteur s'est occupé des dossiers de l'affaire de la grande compagnie d'essence dont on parle tout le temps. Depuis qu'il est au placard, il écrit. Avant c'est un greffier qui le faisait pour lui et ça ne rapportait que pouic ».

Alors, ça ne vous rappelle pas deux bonnes daubes bien moulées marketing, ça ? 

Bon ben voilà. Il faut savoir terminer une chronique, comme disait l'autre. Sachez, pauvres lecteurs égarés, que de la Daube il y en a, il y en a eu et il y en aura encore. Ne baissez pas votre garde. Restez vigilant. En tout cas vous ne pourrez pas reprocher à l'Ours Polar de ne pas vous avoir donné un coup de main pour l'identifier. 

Bonnes lectures de bons polars, s'il en reste. 

Francis MizioTM
mizio@fr.tm

 

 

 

(*) On est pas chez les cons dans l'Ours Polar, on arrive à placer des mots qu'on ne trouve même pas dans les polars. (Enfin, sauf les miens mais c'est peut être pour ça que je vends peu, tiens au fait).

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