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Interview
l'ours-polar

Interview de Lakhdar Belaïd

Son livre Sérail Killers est disponible chez Gallimard, Série Noire

par Hubert Artus

 

Quel est ton parcours avant cette Série Noire ?

J'ai toujours navigué de manière très solitaire. J'ai un parcours banal : je suis né à Roubaix, ai fait ma scolarité à Roubaix, mes études à Lille, les ai terminées à Bordeaux ; étudiant en Anglais à Lille, j'aimais beaucoup tout ce qui était inhabituel, et je suis parti une année en Irlande du Nord, à Belfast, fréquenter les différentes personnalités sur place : j'ai fréquenté beaucoup de protestants mais aussi beaucoup de nationalistes républicains. Ca m'a poussé à trouver une profession qui me permettrait de rencontrer d'autres passionnés. Je suis devenu journaliste comme ça. J'ai travaillé à L'Evènement du Jeudi quelques années, et je suis à France-Soir maintenant.

Je compte toujours travailler de la même façon : rencontrer des personnages un peu atypiques sur des sujets brûlants, passionnels, et raconter pourquoi ces gens sont atypiques, pourquoi ces sujets existent, et comment le commun des mortels doit les comprendre et les accepter. Pour ce qui concerne la France, j'aime les sujets de société, pas les sujets politiques (souvent très chiants). Les sujets politiques m'intéressent beaucoup sur l'étranger, parce qu'il y a sur l'étranger ou sur les rapports de la France avec l'étranger, beaucoup plus de choses déchirantes : les rapports entre la France et l'Algérie, l'Irlande et l'Angleterre.

Il y quelques années, Eric Raoult [ministre du gouvernement Juppé en 97 - NDLR] avait dit aux cinéastes pétitionnaires (pétition contre les lois Debré, pas encore votées à l'époque et aggravées par Chevènement depuis) d'aller faire un tour en banlieue, et il avait assigné à résidence Alain Corneau (par ailleurs excellent adaptateur de polars) à la cité Allende (à Saint-Denis, 93). Mes chefs, qui ne quittent pratiquement jamais les environs de L'Assemblée Nationale, des 6e et 8e arrondissements, m'avaient demandé d'aller faire un tour à Allende, demander  ce que les gens pensaient de ce genre de déclarations. J'avais dit qu'on se verrait répondre que Raoult, on ne connaissait même pas, qu‘on avait rien à foutre de ce genre de déclarations, qu'on avait des problèmes un peu plus immédiats, qu'une fois qu'on aurait réglé nos problèmes de trouver du boulot, d'être respecté et d'avoir des visas pour les gens de la famille, on pourrait éventuellement réfléchir à ces propos.

Les thèmes de ton livre, c'est la guerre d'Algérie et ses résurgences maintenant, la communauté algérienne à Roubaix. Qu'est-ce qui t'amène à bosser sur ces thèmes-là : l'immigration, le chômage, une forme de précarité communautaire ?

Je n'aime pas beaucoup le terme de précarité communautaire, je ne crois pas qu‘il y ait une « précarité communautaire ». Je crois qu'il y en France une communauté nationale de soixante millions d'habitants, auxquels j'y inclus les personnages de mon bouquin. Ils sont pour certains fils de harkis donc français depuis 1830 sans interruption, pour d'autres fils d'immigrés algériens donc Français à statut spécial  jusqu'en 62, plus Français ensuite mais qui ont eu des enfants nés en France (moi, par exemple, né en 64, plus mes sept frères et soeurs nés après, mon frère aîné, né avant et devenu Français depuis) : il n'y a pratiquement que des Français dans mon livre, mais des gens marqués par une histoire très traumatisante qui a été celle de la colonisation française en Algérie, de la guerre d'Algérie, de la gestion de la colonisation algérienne par la France, de la gestion  de la guerre d'Algérie par la France, et de l'héritage que tout ça représente pour les jeunes Français issus d'une population algérienne qui vivent en France.

C'est un  peu facile pour moi de situer ça sur Roubaix : c'est ma ville, j'y suis né, etc.. Mais c'est une ville symbolique : on dit que ce serait la première ville de France à majorité musulmane (il y a plus de 50% de musulmans à Roubaix). L'histoire de la guerre d'Algérie à Roubaix est très spécifique : c'était une ville où les populations musulmanes étaient déjà très importantes avant l'indépendance, il y a eu des guerres intestines entres Algériens, entre militants du F.L.N. et militants du Parti du Peuple Algérien  (le P.P.A. a été le premier parti nationaliste algérien, fondé par Messali Hadj, qui avait auparavant monté le tout premier mouvement nationaliste du Maghreb en 26, l'Etoile Nord-Africaine, et il a été le premier à subir la violence de l'Etat colonial français à cause de ses positions. Ce parti a subi en 54 une scission, qui a donné le F.L.N., et qui a donné chez les membres du P.P.A. et chez leurs enfants une extrême méfiance à l'égard du F.L.N., qui de son côté a marginalisé, démolit, détruit, éradiqué tout ce qui de près ou de loin rappelait Messali Hadj en 62. En gros, le F.L.N. a tué le père ), les fidèles de Messali Hadj et ceux qui étaient partis au F.L.N. s'y sont affrontés de manière extrêmement sanglante pendant plusieurs années. Dans la population dite algérienne, on trouve aussi les harkis. Il y a eu en Algérie même des combats extrêmement féroces entre nationalistes et harkis. Il faut savoir que la guerre d'Algérie de 54 à 62 s'est déroulée essentiellement entre Algériens, entre nationalistes et harkis, et que les règlements de comptes qui se sont déroulés pendant et après la guerre se sont généralement passés entre Algériens. Il se trouve que Roubaix est également une des villes de France où l'on trouve une des plus grosses populations harkis et que ça fait un mélange explosif.

Comment places-tu le Mouvement National Algérien (M.N.A.), l'autre grosse tendance indépendantiste en 54 ?

C'est une tendance proche du P.P.A., c'en est la branche armée. Le M.N.A., le M.T.L.D., mle P.P.A., l'Etoile  Nord-Africaine, tout ça c'est un même mouvement à différentes périodes de l'histoire entre 1926 et 62.

Tu dis dans Sérial Killers que l'histoire officielle algérienne ne reconnaît que récemment, en 2000, l'existence de Messali Hadj...

Tout à fait. En 89, suite aux évènements d'octobre 88 et un bilan qui allait de 500 à 2000 jeunes tués par l'armée, l'Etat s'est senti obligé d'accepter une ouverture politique. Ca a été une ouverture politique très contrôlée : certains partis ont manqué de justesse la légalisation,  et le P.P.A. a été le seul parti à ne pas avoir été légalisé par les autorités ; très certainement parce que c'est un parti qui fait peur, il pêche dans les mêmes eaux que le F.L.N. mais avec un peu plus de légitimité historique. Entre 89 et aujourd'hui, il y a eu tentative sur tentative de la part des vieux éléphants du P.P.A. d'obtenir cette reconnaissance. Lorsque Bouteflika est arrivé au pouvoir à la suite d'élections bidonnées , il a cherché à récupérer une clientèle politique, et l'une des méthodes qu'il a utilisées à été d'organiser un colloque sur Messali à Tlemcen (ville natale ce Hadj) et de rebaptiser l'aéroport du coin « Messali Hadj »...

Une des beautés de Sérail Killers est ce côté « livre d'histoire » pour qui s'intéresse à l'histoire coloniale française, aux pays qui ont été colonisés, et à ceux qui sont issus de ces pays colonisés. Quelle était ton urgence de parler de ça : est-ce parce que tu es issu de ça , ou parce que tu penses qu'il est temps d'expliquer, pour comprendre et agir ?

Il y a différents motifs à ça. Tout d'abord des motifs très personnels. J'ai commencé à écrire le bouquin très peu de temps après le décès de mon père, militant nationaliste, mort en Algérie très brutalement. J'adore le polar mais n'avais pas fondamentalement au départ le projet d'en écrire un et de présenter ça, sous forme de drame politico-socio-historique. J'étais très attiré par les aspects société et historique, et me suis vite rendu compte que le polar était une excellente façon d'aborder ces deux questions. J'ai été très marqué par l'expérience personnelle de mon propre père : il a été militant au P.P.A., il a payé très cher le fait d'être militant parce que ça lui a valu cinq ans de prison et pas un gramme de reconnaissance de l'Etat algérien au lendemain de l'indépendance, il a vécu avec des espèces de chimères, des rêves, des illusions, comme quoi on a foulé Messali, s'il avait  été président, on aurait été encore plus respecté que l'Afrique du Sud aujourd'hui parce qu'il était encore plus grand et plus intelligent que Nelson Mandela... Ce discours me barbait un peu. Quand ça a commencé à mal tourné en Algérie, quand en 88-89 on a clairement vu à qui on avait affaire, c'est-à-dire à  une espèce de mafia qui mettait les richesses du pays dans sa poche en endormant la population avec la religion et le nationalisme, je me suis dit que finalement ce n'était pas plus mal que Messali n'ait pas pris le pouvoir, parce qu'au moins mon père avait gardé ses illusions, il était mort avec la pensée que quelque part il y avait au moins une personne pure sur Terre.

D'autre part, je sature beaucoup de tous les débats qui existent en France sur les questions d'intégration. Je ne sais pas ce que ça veut dire d'être intégré, je ne sais pas ce qu'est l'intégration. Si j'ai pris l'exemple des harkis, c'est justement parce que eux et leurs enfants aujourd'hui ont une légitimité que moi je n'ai pas : les parents sont Français depuis 1830, en 62 ils ont choisi de rester Français et ça leur a coûté assez cher comme ça, les enfants sont devenus automatiquement Français parce que fils et filles de Français. Lorsqu'on va faire un tour dans les camps de harkis dans le sud, quand  on va rencontrer les associations de harkis dans l'Oise, à Amiens, à Marseille ou à Roubaix, on voit qu'il y a toujours une politique claire et nette, une espèce de plafond de verre en France, qui fait qu'il y a deux catégories d'individus. Ca me fait chier d'entendre parler d'intégration lorsqu'il y a toujours une politique de faciès.

Pour changer de sujet et parler des enfants d'immigrés nés en France, donc Français : en 93, lorsque les Lois Pasqua ont été votées, on n'était pas très clair sur qui devrait faire une démarche officielle pour devenir Français et qui ne devrait pas le faire. Si je prends ma propre situation familiale, je me retrouvais avec un frère aîné né en Algérie avant 62, qui donc était Algérien, et qui demandait la réintégration dans la nationalité française, moi qui suis Français parce que né en France, et mes plus jeunes frères et sœurs devant demander officiellement à être Français à partir de 18 ans parce que la nouvelle loi l'exigeait. C'est quand même déstabilisant. Tous ces gens sont des gens qui, du premier au dernier, parlent français sans problème, ne parlent pas l'Arabe, ne parlent le Kabyle que comme moi je parle le Japonais, sont imprégnés de culture française, ont toujours vécu en France et sont Français au même titre que n'importe quel citoyen de ce pays.

Ce bouquin était aussi une façon de dire merde aux gens qui vous balancent à la figure que l'intégration c'est bien, qu'il faut fêter Noël parce que l'intégration c‘est bien. Dire à quelqu'un qu'il est bien intégré, c'est redire ce que j'entendais gamin et ce que beaucoup de gens ont entendu avant, c'est : « toi, t'es pas un Arabe comme les autres, t'es fréquentable », ou ce qu'on disait en Algérie sous la colonisation: « celui-là il est bien, il est presque comme nous ». C'est le même principe présenté dans des emballages complètement différents. J'ai repris comme fond l'histoire coloniale française, une guerre dont on ne veut pas parler, ni la France ni beaucoup d'Algériens. J'ai eu un mal fou à faire parler mon père de son expérience pendant la guerre, parce que tout le monde a fait des saloperies durant cette guerre, c'est une des plus sales qu'on ait connues, il y a eu des massacres, des coups dans le dos, des manipulations, on s'est acharné à être le plus dégueulasse, le plus inhumain possible pendant cette guerre.

C'est une des chapes de plomb qui fait qu'avec Vichy, c'est sûrement le plus gros mensonge d'Etat français du 20e siècle. Mensonge aussi fondateur d'une grosse parfois du militantisme gauchiste. Est-ce que toi, qui écrit une oeuvre qui, bien que de fiction, a une emprise à 95% sur la réalité et sur l'histoire, tu as l'impression de faire partie d'un mouvement très utile, pratiquement militant, en écrivant sur un sujet, avec la profondeur qui est la tienne dans Sérail Killers, profondeur peu commune en France, même actuellement ?

Sur le plan militant, j'ai eu des périodes de ma vie où j'ai adhéré à certains groupes, du genre Convergence 84 en 84, La Marche des Beurs en 83, etc.. Ca n'a jamais duré longtemps. J'ai très rapidement été très méfiant à l'égard de tout ce qui était appareil politique ou associatif. On peut dire qu'il y a une démarche militante dans mon bouquin, un message politique, c'est évident. C'est une démarche très personnelle, un comportement très autonome, ma réflexion et ma réaction par rapport aux différents mouvements que la France a connus. Ca tourne bien sûr autour de l'immigration, de l'Algérie, de la lutte contre le FN, de l'orchestration de cette lutte anti-FN. Cette lutte anti-FN a été le fond de commerce d'une catégorie d'escrocs assez extraordinaires, à droite comme à gauche, beaucoup plus à gauche qu'à droite, il faut le dire.

Il est difficile de s'inscrire dans un mouvement lorsqu'on est dubitatif quant à une activité militante. J'étais bien content d'entendre le PS critiquer le FN quand j'étais jeune, et quand j'ai vu comment le PS orchestrait le FN pour casser la droite, ça m'a écoeuré du PS. Bernard Tapie présenté comme le Zorro de la banlieue, ça m'a fait rigoler cinq minutes, maintenant ça m'énerve un peu.

Tu me disais aussi qu'à Roubaix, le pouvoir municipal était fort pour instrumentaliser la lutte anti-FN...

A Roubaix, il y a eu une espèce d'aberration, jusqu'à aujourd'hui d'ailleurs. Roubaix est et était un bastion du PS ( le PC soviétique était moins bien implanté à Moscou que ne l'était le PS à Roubaix), et ça crée des réflexes : quand on fonctionne sur un principe de parti unique, le parti unique devient un creuset où on trouve de tout, des gens intelligents et des cons, des gentils et des méchants, des honnêtes et des salauds. Le PS a perdu la ville de Roubaix en 83, mais les réseaux sont restés très importants et les socialistes très présents sur Roubaix.

Les maires centristes, au pouvoir depuis 83, se retrouvent aujourd'hui à créer une politique d'ouverture à destination du PS : aux prochaines municipales, on aura un maire qui vient de la droite, soutenu par le PS, encadré et complètement vissé par le PS. En 89, lors des premières municipales depuis la défaite du PS, il y avait en France un grand débat : faut-il prendre des beurs sur les listes ou pas ? Il y a eu débat autour de ça au PS, il y a des gens qui ont clairement dit : « si vous prenez des beurs, on part au FN », il y a eu risque de scission au PS de Roubaix. Surprenant : un parti de gauche, aux valeurs humanistes, qui donne des leçons à longueur de journée, le parti de la laïcité, de la tolérance... La tolérance a sauté vite fait bien fait : il y a eu démission sur démission parmi les gens qui, au sein du PS, soutenaient l'idée d'avoir des gens de toutes couleurs sur une liste; ce sont ceux-là qui sont partis, pas les autres, parce que finalement la direction a baissé son froc.

Sérail Killers est l'histoire de meurtres qui ont lieu, la communauté algérienne est accusée, on découvre que, par des ficelles, ce sont des gens du FN qui manipulent les faits et les indices pour accuser cette communauté, jouant ainsi le jeu des harkis. Il est un fait que, souvent, ce sont des harkis qui font le service d'ordre des candidats FN sur les marchés, en période de campagne. Une des forces de ton livre est d'avoir une approche de conscientisation de l'histoire et une autre approche, qui est : comment les personnages vont assumer cette histoire (la leur), leur rapport à la réalité (le FN, la langue de bois..), leur rapport à d'autres communautés issues de l'immigration. C'est cette conscientisation par rapport à la réalité qui fait la force de ce livre...

Si je devais résumer ces questions (Algérie, FN, la France...), je dirais qu'il y a deux personnages qui symbolisent tout ça en même temps. Karim Khodja, le journaliste, fils de militant nationaliste algérien, qui est devenu Français sans savoir comment, vit sa vie et se rend compte que c'est pas mal d'être Français, c'est sympa, les gens sont sympas, et ça tombe bien : il y est né ! Les questions avec le FN, les grands vilains, il les voit avec du recul, comme il lit une BD, il ne les fréquente pas et n'a aucune raison de les fréquenter.

En face, il y a Bensalem, pour qui c'est complètement différent : il est français, fils de harkis, sa famille a payé cher pour ça, on lui a mis dans la tête dès le départ qu'il était plus français que les français tellement sa famille l'avait payé cher. Il voit que ça ne se passe pas comme ça dans la vie, donc méfiance, frustration, dépression quand il était gamin, et alors dans ces cas-là on est acerbe, amer, et très clairvoyant aussi ;  on arrête d'être gentil, on regarde tout en décortiquant, et on voit alors des réalités que ne voient pas forcément les autres.

Sur cet entrefait, Bensalem et Khodja sont des copains d'enfance, ont grandi ensemble, sont amis, frères. L'histoire, dans tout ça ne les intéresse pas tant que ça, d'autant plus que leurs pères respectifs ne sont pas forcément très fiers de qu'ils ont fait et ne l'ont pas répété à leurs enfants, ce qui permet d'éviter des clash entre les gosses.

Mais il y a un moment où Khodja, qui a fait des études, reste dans son rêve : quelqu'un qui est étudiant, qui est un peu « intello », il rêve : qu'il y a des gentils à gauche et des méchants à droite ; alors que quelqu'un qui a pris plein la gueule de la gauche et de la droite se dit que c'est tous des salauds et des pourris. Mais quand on dit « tous salauds, tous pourris », on va au FN ; donc Bensalem, qui lui n'a pas fait d'études, adhère au FN.

Je ne raconte pas la suite, mais ça sépare les copains, puis ça les rassemble. L'un se rend compte que le FN, c'est bien cinq minutes pour se défouler, et qu'après il est nécessaire d'aller voir ailleurs, et l'autre se rend compte aussi que tout le monde n'est pas gentil et tout le monde n'est pas méchant, dans ces relations entre « les blancs et les pas-blancs », qu'il y a beaucoup d'hypocrisie, que quelqu'un qui vous dit « vous, je vous aime bien, vous êtes un gentil petit Kabyle » est peut-être aussi raciste que celui qui vous dit « toi t'es qu'un bougnoule, casse-toi ». Il y a le racisme violent, genre « fous le camp ! » et il y a le racisme paternaliste, genre « toi t'es un petit gentil », d'un côté on vous traite comme un chien enragé et de l'autre comme un petit caniche. Tout ce cheminement, les deux personnages le font, chacun à son rythme, et finissent par se rejoindre. Et ça fait mal !...

Sérail Killers est ton premier livre publié, je ne sais pas si c'est le premier écrit... Y en a-t-il d'autres en route ? Y a-t-il d'autres thèmes, d'autres approches, que tu comptes aborder ?

Sérail killers est le premier écrit, premier publié.
Quand on a goûté une fois à l'expérience de l'écriture, c'est plutôt sympa de continuer. C'est beaucoup de boulot, mais c'est très chouette, une belle aventure. Bien sûr, j'ai plein de projets, des projets très éthérés pour le moment. J'ai encore beaucoup de choses à dire, j'ai envie de raconter beaucoup de choses sur ces histoires-là. Sur la guerre d'Algérie, il y a encore des millions de choses à raconter. C'est un sujet très important qui n'a pratiquement pas été traité.

Ce qui est important dans Sérail Killers c'est l'influence de la guerre d'Algérie sur les personnages, l'influence de ce que les parents ont vécu et ont transmis, même sans le vouloir, à leurs enfants, mais c'est aussi ce qui ne s'est pas dit. Ces silences, ces souffrances que les parents ont vécu, qui ont été transmises à leurs enfants sans qu'aient été expliquées les raisons de cette souffrance.

Il y a plein de choses que j'aimerais dire dans d'autres romans sur l'islamisme, l'influence islamiste en France. Il y a beaucoup de choses à gratter, à expliquer et à comprendre, qui peuvent, je pense, permettre de saisir ce qui se passe quand il se passe des choses, puis de désamorcer, et  dédramatiser certaines crises.

Quelques petites choses commencent à être, à peine, traitées maintenant : les rapports entre le F.I.S. et la question coloniale, les rapports entre l'histoire contemporaine de l'Algérie et l'histoire plus ancienne. Tu mets deux ou trois pistes sur ça dans ton livre...

Je suis allé dans un débat un soir, il y a quelques années à Paris, où on expliquait par l'histoire les différentes phases de violence que l'Algérie avait connues. L'orateur, quelqu'un sans intérêt, expliquait qu'il voulait bien reconnaître que, vue la violence coloniale subie en Algérie, le FLN était le fils de la France, fils maudit mais fils quand même. En gros, la France avait été violente en Algérie donc le FLN avait été violent pendant la guerre. Ensuite, le FLN s'étant transformé en parti soviéto-fasciste et mafieux, le FIS s'était créé : le FIS s'étant créé en réaction au FLN, il était le fils du FLN. Sur ce constat de l'orateur, quelqu'un de la salle s'est levé pour dire : « dans ce cas-là, est-ce que le FIS n'est pas le petit-fils de la France ? ». L'orateur a  lors changé de sujet... Ces questions seront toujours des zones d'ombres extrêmement douloureuses.

...Donc intéressantes à explorer. C'est comme l'amour, c'est douloureux et pourtant c'est ce qu'il y a de plus beau !...

Très passionnel tout ça, effectivement !...

Merci beaucoup.

(Cette interview a été réalisée par Hubert Artus, sur Enjoy Polar le 5 octobre 2000, à l'occasion de la parution de Sérail Killers)

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