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l'ours-polar |
Interview de Max Geneve
Vous arrivez au polar chez Zulma avec « Autopsie d'un biographe » : Aviez-vous ce manuscrit depuis longtemps ? Était-ce votre premier polar ?
Non, j'arrive chez Zulma en 93 avec un dizaine de romans, des récits, des nouvelles parus chez Bourgois, Stock, Barrault et Flammarion. De la littérature générale. Je leur donne un petit livre érotique, La nuit sera chienne, qui dans ses différentes éditions (Le grand livre du mois, France-Loisir, Pocket) dépasse 45000 exemplaires vendus. On ne change pas une équipe qui gagne. Cela faisait longtemps que j'avais un polar sur le bout de la langue (sans doute à la suite d'une expérience de scénariste à la télé pour les vendredis soirs de France 2), je l'écris en quelques mois. Autopsie d'un biographe est bien mon premier polar, mais auparavant d'autres romans, notamment Le Salon et Le dernier misogyne ont flirté avec le genre.
« Autopsie d'un biographe » marque les débuts de votre enquêteur, Simon Rose. Comment vous est venu ce personnage si atypique? L'aviez-vous en tête avant ce livre ou sa personnalité et son entourage vous sont-ils venus au fur et à mesure ?
Le livre en effet est plutôt né du personnage. Je voulais une figure, apparemment désinvolte et rieuse, pour affronter le crime et les forces du mal. Malgré tous ses défauts (nonchalance et libertinage, entre autres), Rose est un chic type, qu'on aimerait avoir pour ami.
Vous parlez des Franciscains de Salzburg... Y avez-vous traîné vos guêtres ?
Tout mélomane connaît le festival de musique de Salzburg, le plus important du monde avec Bayreuth. Que l'auteur d'un roman sur Bartók y use ses mocassins ne doit pas surprendre.
Votre deuxième polar, « Le tueur du cinq du mois », est la suite des aventures de Simon Rose. Vous arrivez à la Série Noire, comment cela s'est-il fait ?
Patrick Raynal a beaucoup aimé Autopsie d'un biographe, du reste salué par une presse abondante et enthousiaste. Et j'avais très envie de tâter de la Série Noire, au moins pour un titre. Pour consoler mes amis de Zulma, j'ai immédiatement écrit un troisième Simon Rose, TEA. Les deux ont été publiés à peu près en même temps.
Vous y décrivez le carnaval de Bâle, en êtes-vous un adepte ?
Le carnaval de Bâle — fifres et tambours obsédants, lumières qui sortent de la nuit — , est une expérience envoûtante. Comme dans tout carnaval, la luxure y est en suspens, mais aussi la mort. Décor idéal pour mon serial killer.
Le 5, « nombre noir et dangereux ». Avez-vous tâté de la numérologie ?
Les sciences occultes m'intéressent peu. Rien n'est plus amusant, pour se faire une idée de l'abyssale bêtise humaine, que la lecture des horoscopes. Du reste, dans certaines civilisations, le 5 est un nombre positif.
Vous citez Jean Ray, est-ce l'un de vos auteur fétiches? Quels sont les écrivains que vous appréciez ?
J'aime assez la fausse simplicité des romans de Ray. Mes auteurs de prédilection : les classiques. De Shakespeare, Balzac, Dickens à Musil, Nabokov, Gombrowicz. Dans le noir, Simenon, Highsmith, Le Carré. Parmi mes contemporains, j'ai un faible pour Belletto.
Rose pense que « si la vie pouvait se dérouler comme un livre de géométrie euclidienne, je signerais tout de suite ». Est-ce votre envie des choses ou préférez-vous une vie plus imprévisible ?
La géométrie euclidienne a bien des vertus, surtout dans l'ordre de la pensée (peut-être aussi sur un plan érotique). Mais comment résister au charme non-euclidien ?
Durrieu, le tueur, a tout pour être bien : des revenus confortables, la santé, une maîtresse adorable... Malgré tout ça, on voit qu'il est en train de se pourrir la vie et que cela va mal finir. Pourquoi lui réserver un tel sort ?
Le mal qui est en lui impose sa loi, tout le reste devient secondaire. Et ce mal prend la forme d'une lame, une lame acérée comme un rasoir. Tout l'être de Durrieu tend vers un usage euclidien de cette lame, au point de plus faible résistance (la gorge) de ses jeunes victimes. Pour les tacherons de la vraisemblance, cela reste incompréhensible.
TEA, le troisième polar, est placé, plus ou moins, dans le monde de l'ETA. Vous intéressez-vous particulièrement à leurs affaires ?
Je vis une partie de l'année à Biarritz et j'ai épousé, jusqu'à un certain point, la cause basque. La thèse de TEA est que les gouvernements espagnol et français sont largement responsables des dérives maximalistes de l'ETA (comme Thatcher, à une certaine époque, a rendu impossible tout dialogue avec l'IRA). L'histoire du terrorisme en Europe depuis trente ans montre la collusion objective des tueurs des deux camps : en Espagne, en Italie, en Allemagne, en Angleterre. C'est une idée encore interdite. Aucun penseur officiel ne m'a jamais démenti.
On y trouve aussi une histoire de tabassage d'un pauvre garçon par des contrôleurs RATP. Est-ce un véritable fait-divers ? Vous poursuivez avec un groupe de justiciers qui bastonnent ces mêmes contrôleurs. Est-ce votre idée de la justice ?
Au départ, il y a un fait-divers, légèrement transformé (il s'agit d'une infirmière qui, à la suite d'une bousculade avec des contrôleurs, est passée sous un train). D'une façon plus générale, TEA dénonce le caractère concentrationnaire et fascisant que prend la vie souterraine du métro à Paris et qui étonne les étrangers : la RATP est prête, pour coincer les resquilleurs, à mettre en péril la vie des usagers. La preuve, elle n'hésite pas a installer des systèmes de plus en plus sophistiqués, qui peuvent lors de mouvements de panique collective (incendie, alerte à la bombe) constituer des obstacles gravissimes à la circulation des personnes. Le polar doit aussi servir, me semble-t-il, à dénoncer ces dérives sécuritaires. Quant aux nervis de la RATP qui se font taper dessus, le risque existe en effet. La preuve, ils ne circulent plus qu'en troupeaux de quinze, vingt individus, souvent protégés par des flics. Je déplore la violence de certains usagers, mais elle a des circonstances atténuantes.
Dans ce livre, page 185, il y a une grande diatribe sur la justice en France. Etes-vous de l'avis de Rose ou du général de gendarmerie Thévoz ?
Thévoz au cinéma serait incarné par Clint Eastwood. La sympathie que Rose, qui est tout sauf un terroriste, éprouve pour le personnage est une réponse. Il n'approuve pas ses méthodes, mais il comprend l'homme.
Dernier polar en date, « Tigresses ». Vous abordez le snuff movie, ce qui est assez sanglant et ne cadre pas trop avec le reste de votre production, pourquoi ?
La trame en est très dure, mais le livre n'est pas gore. Il choquera les âmes sensibles. C'est une des vérités du monde comme il va, que des êtes humains (le mot convient-il ?) doivent imaginer et réaliser des dispositifs d'un sadisme extrême pour parvenir au spasme. Je décris le noyau dur du mal, il existe, nous le savons et nous ne sommes pas indemnes. Dans la scénographie de la cruauté, comme l'avaient compris Sade et Artaud, le metteur en scène est en chacun de nous. Mais Simon Rose n'éprouve ni fascination ni pitié pour ce genre de criminel.
L'histoire de Brett Fogg, et les idées de film de Wiszniak et Gilian sont ignobles : est-ce des choses piquées sur Internet ou est-ce pure invention ?
Je ne surfe pas sur le Web. C'est inventé, donc c'est vrai. Trois mois après avoir écrit l'une des scènes (personne ne l'avait lue, pas même les éditeurs), elle était réalisée, au détail près, dans un fait divers qui s'est produit près de Nice. Mon côté visionnaire!
L'une des Tigresses s'appelle Téa. Clin d'oeil à TEA ? Les autres noms de tigres sont-ils aussi des allusions ?
Non, ce sont des noms de cirque, notamment Hector et Sémiramis. Il n'y a donc pas de clin d'oeil, un pur hasard. Mais parfois peuvent jouer des coïncidences inconscientes : ainsi Tamar (je m'en suis aperçu une fois le livre imprimé) est le prénom d'une charmante jeune fille de ma connaissance.
« Qui marche sur la queue du tigre finira dans son ventre » : est-ce un proverbe qui vous vient de votre enfance ?
Non, c'est inventé, ou plutôt, remanié façon Mistigris, ce personnage de Balzac (Un début dans la vie), célèbre pour ses détournements (« Le Temps est un grand maigre », « Qui veut noyer son chien l'accuse de la nage », etc.).
Sur un plan plus général, comment travaillez-vous? Avez-vous une trame précise ou vous laissez-vous emporter par l'intrigue et les personnages ?
Pas de plan, pas de programme. Je laisse les choses venir, le livre doit d'abord me hanter, y compris les incertitudes et énigmes, ensuite je fonce et je verrouille au fur et à mesure. Au début, je ne sais rien ou presque. A la fin, tout doit s'expliquer.
Vous descendez souvent à Biarritz. L'inspiration y serait-elle meilleure ? Pourtant, vous n'avez pas fait de polar qui ait la Côte Basque pour décor.
Patience, ça viendra. Ce n'est pas l'inspiration qui est meilleure, mais l'air ! Alors pourquoi l'océan ? Parce que : « Vieil Océan, je te salue ! » (Maldoror).
Même dans vos nouvelles policières (dont celle parue dans le recueil Villefranche, ville noire, Zulma 97), on retrouve toujours Simon Rose. Auriez-vous des problèmes pour écrire des polars sans lui? Ne serait-il pas devenu encombrant pour vous ?
J'écrirais volontiers un polar sans Simon Rose. Le problème, c'est lui, il ne veut pas, il s'accroche à mes basques (si j'ose dire). Et comme je l'aime bien...
Depuis cet interview de Max Genève est paru
L'Ingénieur du silence chez Zulma.