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Interview
l'ours-polar

Interview Jean-Hugues Oppel

par Christophe Dupuis

M'sieur Oppel, bonjour.

Amis plantigrades, bonjour !

Après des romans noirs, des policiers, tu te lances dans ce qu'on appelle « le thriller » (en vérité je sais pas trop ce que c'est le thriller mais ça donne l'impression d'une interview rondement menée), c'est arrivé comme ça, ou était-ce prémédité ?

Vilain mot que « thriller », même pas français l'affreux; certains le traduisent par « suspense », un peu trop réducteur à mon goût, ou, dans le cas présent, par celui de « politique-fiction », plus adéquat mais manquant de sel polardeux, je trouve... Alors, comme il ne semble n'y avoir aucun équivalent, on va faire avec ! Cela dit, la planète Polar est vaste, le Noir se pare de toutes les nuances, Cartago  reste donc fidèle au genre, permettant à l'auteur longtemps immergé dans la noirceur de souffler un brin, et était on ne peut plus prémédité: pour tout dire, c'est un roman auquel je songe depuis 1992 — question préméditation, il va être difficile d'obtenir les circonstances atténuantes ! Quelque part, c'est le télescopage du Chacal littéraire de Frédéric Forsyth (à (re)lire d'urgence — en oubliant la version ciné sauce Bruce Willis) et du Dans la ligne de mire cinématographique de Wolfgang Petersen (sauf erreur de ma part; le père Clint Eastwood n'y est que comédien, et voire un petit peu producteur sous l'habituelle bannière Malpaso), tous deux cités en références dans l'ouvrage par souci de rendageacésarité autant que d'hommage sincère — plus d'irrépressibles envies personnelles d'explorer ce nouveau territoire du noir et d'assaisonner la collision... ce qui s'enchaîne à ravir avec la question suivante !

C'est un livre bien documenté sur les aspects policiers : tu as fait un gros travail de recherche ?

Sur le « gros » du travail de recherche, une bonne part vient d'expériences personnelles du temps où je sévissais dans l'actualité télévisée filmée; je vous parle d'un temps que les moins de 20 ans... avant la vidéo, numérique ou pas, le 16mm couleurs en pellicule inversible (comme la diapo, quoi) était roi pour l'actu, il fallait un assistant pour charger les magasins de la caméra, alors j'en ai bouffé des kilomètres dans les endroits les plus divers — dont le palais de l'Élysée (avant et après le 10 mai 1981 ; oserais-je dire qu'il n'y avait pas de changement dans la continuité ? Question dorures, protocole poussiéreux des huissiers en queue-de-pie et mobilier moche, je précise — fin de la parenthèse), et des bâtiments d'État genre hôtel Matignon, ministère de l'Intérieur place Beauveau, Assemblée Nationale, et j'en passe. Mais c'est surtout à l'occasion d'un voyage présidentiel mitterrandien, Tonton en personne allant serrer officiellement la louche au père Chaadli à Alger en novembre 81, que j'ai enrichi ma culture rapport aux arcanes de la sécurité rapprochée, in situ et de visu (turlututu, chapeau pointu) ; l'évolution des armes mise à part, la peau humaine prenant les balles de la même manière quel que soit son rang dans la hiérarchie sociale, il n'était pas trop présomptueux de puiser dans ces souvenirs professionnels. Pour le reste, je ne répondrais que sous la torture (je suis très douillet); rappelons nonobstant ici que si les élucubrations nées de la seule imagination d'un auteur trouvent des échos favorables chez le lecteur (ou la lectrice), c'est que lesdites élucubrations sont plutôt bien foutues, non ? Mais ça, ce n'est pas à moi de le dire — quant à la rumeur qui prétend que, dans une vie antérieure, j'ai été garde du corps d'un grand couturier réincarné à l'époque en chihuahua à la cour de Néfertari, elle n'est pas fondée. 

Fulliade (dessin)
Tes premières phrases sont percutantes et particulièrement travaillées (comme le reste d'ailleurs... ) c'est une petite contrainte que tu t'es donnée ou un reste de ton travail au cinéma ?

Ah, les premières phrases... Comme les dernières, c'est l'enfer de l'écrivain ! Enfin, à mon avis, hein ? Si contrainte il y a, c'est celle de trouver quelque chose qui fasse démarrer le chapitre de façon à installer l'ambiance ou le décor d'icelui le plus rapidement possible, avec force de préférence, comme on attaque une nouvelle séquence dans un film — réponse immédiate à la question ! Je n'y peux rien, je me suis d'abord nourri au sein du cinoche, d'un côté puis de l'autre de l'écran; mais, en tant que lecteur, avant tout, les bouquins qui me font vibrer sont ceux dont les mots me mettent des images dans la tête, même si ce ne sont peut-être pas celles que l'auteur avait imaginées... alors, quand j'écris, je fais pareil ! J'ajoute que la contrainte d'écriture, si elle peut avoir un côté ludique ou purement mécanique genre défi oulipien mal digéré (c'est-à-dire le jeu pour le jeu, en oubliant qu'on a quelque chose à raconter avec), doit s'intégrer à la matière de l'histoire; toute la difficulté est de trouver un juste équilibre entre la facilité (exemple de première phrase facilement accrocheuse: « Vous m'éclatez l'oignon ! s'écria la baronne tandis que l'énorme vit du marquis forçait son sphincter anal. ») et le nébuleux obligeant à de longues et pénibles explications tout de suite après (exemple: « Naguère je me suis levé très tard. »).

Tes livres deviennent de plus en plus engagés, est-ce toi qui change ou laisse-tu plus de choses passer dans tes livres ?

Objection votre honneur: si je m'engage davantage à chaque nouveau livre, cela signifie que je m'engageais moins avant ! Or je n'ai pas ce sentiment (personnellement, moi, je); sans doute faut-il croire que les sujets que j'aborde successivement donnent cette impression ? Maintenant, comme tout le monde, je change, oui, et pas seulement à Châtelet; mais pas tant que ça, en fait — ce renvoi dans les cordes de l'interviewer démontre de façon éclatante que l'entretien par disquette interposée ne saurait être qu'un hagiographique passage de casse contre le séné ! Tout ce que j'espère, c'est que cet engagement ne vire pas au donnage de leçon; je ne garde pas le temple — mais j'avoue prendre un malin plaisir à botter le culs des marchands qui le squattent... Il y a un précédent, je sais !

A la lecture du livre, on se dit que ça ferait un bon film. Tu l'as écrit en pensant à une adaptation ou non ?

Je ne pense JAMAIS (capitales ; gras ; souligné) à une adaptation pour l'écran, petit ou grand. Bon, vous n'avez que ma parole... Et soyons honnêtes, la chose vous effleure quand même (et fait plus qu'effleurer votre banquier), mais comme une possibilité sympathique et non dénuée d'intérêt (voir ci-dessus). Pour avoir baigné dans le milieu Production en direct sur le plateau, et y faire trempette dans les bureaux depuis peu, je connais trop les impératifs du fric quand vous ne parlez pas avec le producteur de James Cameron; alors je préfère écrire directement un scénario, et ne pas me priver de pouvoir mettre dans un roman qu'une douzaine d'éléphants furieux brisèrent leurs chaînes et dévastèrent la salle des pas perdus de la gare Bordeaux Saint-Jean (par exemple).

En parlant de cinéma, peux-tu nous parler de ce qu'a donné Six-Pack ?

Difficile de dire ce que je pense de Six-Pack le film, d'autant plus que j'avais beaucoup aimé le livre... Pour l'anecdote, sachez que l'auteur et son éditeur s'engagent par contrat à ne pas nuire à la carrière du film tiré de leur ouvrage ; donc, si l'un ou l'autre vous répondent « je n'ai rien à dire », les conclusions s'imposent !

J'ajoute de suite que ce n'est pas le cas avec Six-Pack — mais plutôt que de donner mon avis personnel, qui n'engage que moi et ne convaincra pas ceux et celles qui n'aiment pas le genre, je voudrais dire ceci: oublions l'auteur et le livre de référence (je ne trancherai pas non plus l'éternel débat sur la fidélité ou la trahison d'une adaptation), et parlons du film en tant que tel... Eh bien, il y a longtemps que je n'avais vu des images dans un film français, pas des vignettes infantiles lucbessoniennes ou dobermanisées, mais des vraies images avec du sens; des cadres qui racontent quelque chose, sachant inclure plus de deux personnages assis à une table de bistrot et un figurant raccord qui passe derrière raide comme un piquet; de la mise en scène, du montage — bref, du cinéma. Un vrai film noir, pas du clinquant décervelé surfant sur la vague sérialkilleuse juste pour alimenter le tiroir-caisse. Maintenant, à vous de juger... mais venez nombreux ! 

L'Ours au ciné (dessin)

Plus légèrement, j'ai remarqué ce qui pourrait être des clins d'oeil à tes collègues ; peux-tu me dire si j'ai tort ou non :
  - Sombre septembre (Sombre sentier de Dominique Manotti?)
  - L'étage des morts (Pagan)
  - L'histoire des paparazzis... (la nouvelle de Jacques Vettier dans Avès Sotavento ?)

Bien vu, l'Ours ! Si le clin d'oeil à l'ami Pagan me semblait évident (juste hommage à un bouquin formidable qu'il faut absolument lire; pour ma part, question polar français, il y a eu la claque Nada-Manchette, puis L'étage des morts-Pagan), on pouvait passer à coté de celui dédié à dame Manotti... Par contre, désolé, les paparazzi (sans « s », c'est le pluriel de « paparazzo »; je n'en tire aucune vanité, c'est ma correctrice qui me l'a dit — fin de l'intermède culturel) doivent beaucoup à certaine défunte princesse britannique, et avant elle à une douce jeune fille au prénom de bibliothèque, mais rien au camarade Vettier — dont l'Avès Sotavento est un recueil de première bourre, soit dit en passant; j'en profite pour recommander à nos chères têtes blondes la lecture de Plongée fatale, son Furet de fraîche parution aux Editions Albin Michel, publicité entièrement gratuite (quoique ; une bouteille de rhum est toujours la bienvenue, mon petit Jacques, que je sais ouèbeur acharné...).

Tu n'aimes pas les calembours du présentateur de la deuxième chaîne ?

Parlons au passé puisque ledit présentateur n'officie plus à la télévision, pour dire que j'adorais ses calembours, mais que point trop n'en fallait. D'ailleurs, depuis qu'il sévit sur les ondes radiophoniques, j'adore toujours — tout en tirant parfois la sonnette d'alarme: attention à ne pas abuser dans le graveleux, une brochette de grosses têtes suffit amplement à notre indigestion... Bref: qui aime bien châtie bien !

Si tu as quelque chose à rajouter...

Et j'ajouterais que tout le mal que je nous souhaite, c'est du bonheur, et des livres et des films à nous remuer les tripes, car, fidèles de L'Ours-Polar, il n'est jamais mauvais d'en prendre pour son plantigrade !

Merci bien.

(Interview de Ch. Dupuis, réalisé par courrier)

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