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l'ours-polar |
Interview d'Elizabeth Stromme
Elizabeth Stromme, pourriez-vous nous dire comment vous êtes arrivée à la Série Noire ?
Mon mari est français et nous vivons souvent en France où nous connaissons des gens dans le milieu littéraire. Une traductrice avait lu mon roman et l'avait trouvé bien. J'ai rencontré Patrick Raynal à Saint-Malo au festival des « Etonnants voyageurs ». Nous étions sur les quais, en train de fumer des cônes avec James Crumley et il y avait une discussion animée entre nous trois. J'ai parlé de mon livre et le lendemain, Patrick m'a demandé mon manuscrit.
« Gangraine » n'a pas été publié en Amérique. Avez-vous écrit « L'écrivain public » pour Gallimard ou avez-vous déjà essayé de le placer dans votre pays ?
Je l'ai écrit en anglais et Patrick l'a pris immédiatement. Aux Etats-Unis, je n'ai essayé que six agents mais ils ne le veulent pas. Ils sont bien gentils et me disent que j'ai du talent mais ne me le prennent pas. La raison est toute simple : ils ne le prennent pas car ils ne peuvent pas le vendre ; ils n'ont pas les débouchés commerciaux pour ce type de livre. Mais je ne cède pas encore au pessimisme car je n'ai pas trop essayé de le placer. Mon humour ne passe pas aux Etats-Unis. Certes, dans mes livres, il y a des propos sérieux, mais mon humour et mon ironie ne plaisent pas aux américains qui prennent les choses trop littéralement. En plus, le mélange des styles les laissent pantois, car ils ne le comprennent pas.
Connaissez-vous d'autres auteurs de polar en Amérique et quelles sont vos relations avec eux ?
J'ai rencontré quelques auteurs mais je ne les connais pas trop. Je ne vis pas dans le monde du polar, je vis dans un endroit assez marginalisé, celui de « L'Ecrivain public » et je suis assez solitaire. En France, c'est différent : je rencontre beaucoup de gens, je vais dans de nombreuses soirées... Alors qu'aux Etats-Unis, c'est travail et solitude.
Comment les auteurs sont-il perçus par le public ?
Aux Etats-Unis, dans le polar et dans la littérature, on vend des « intrigues » et il n'y a que ça qui intéresse le lecteur. Il y a une impasse sur les « personnages et les caractères ». C'est pour ça, à mon avis, que des gens comme Crumley ont des ventes qui ne sont pas à la hauteur de son talent. C'est le pays de la grande littérature, avec un ton sérieux et des mots précis et recherchés et il n'y a pas de place pour « une autre voie ». Comme je le disais précédemment, un ton pas trop sérieux et tout ce qui n'est pas « grande littérature », c'est-à-dire un peu original, ne passe pas. C'est pourquoi il est difficile de s'imposer quand on ne rentre pas dans un modèle. Heureusement que dans cette grande littérature sèche, académique et ennuyante comme tout, il y a des bonheurs d'édition tel Cormac McCarthy. Pour finir, le dernier problème vient du fait que si on ne vit pas à New York, il est difficile de s'imposer... Heureusement qu'il y a quelques exceptions.
Pourquoi être passée du polar au roman et pensez-vous retourner au polar ?
Mon premier livre a été un polar car j'avais l'idée des graines et je voulais informer les gens de l'enjeu économique qu'il y avait autour de tout ça. Le polar était un bon support car avec le personnage du détective, c'était l'idéal pour aller fouiner. Mais, je ne voulais pas faire deux fois de suite la même chose. Pour « L'écrivain public », je voulais parler de mon coin et de la vie prolétarienne, dédaignée par les couches riches de Los Angeles. Je voulais parler de ces gens qui subissent constamment la police. Les riches ne peuvent absolument pas se mettre dans la peau des pauvres et je voulais leur faire voir ce que c'était. L'écrivain public est l'étude d'un quartier très contemporain que personne ne voit. On parle des quartiers très riches, on parle des quartiers « à gangs » mais personne ne parle de ces quartiers et de ces couches de population pauvres. Je marche souvent dans mon quartier, je vois ces gens, je les connais, on discute et je voulais les montrer. Dans le polar, le détective va au dehors des gens, à leur rencontre, tandis que dans mon livre ce sont les gens, cette communauté, qui va dans le magasin de Joe.
Dans vos deux livres, le « smog » est toujours très présent et on sent que c'est une véritable calamité. C'est si insupportable ?
A certaines saisons, c'est très insupportable ; fin août et en septembre, ça peut vraiment être invivable. J'habite en centre ville, ce qui n'est pas le pire, mais certains jours on n'ose tout de même pas aller se promener. Los Angeles est très pollué. Il y a dix mois vivables mais deux sont vraiment terribles. En plus la ville est victime de ces grandes montagnes très hautes, qui bloquent la pollution.
Gangraine
Ben lit le journal et n'y trouve que des mauvaises nouvelles « jour après jour, les mêmes papiers infects, il suffisait de modifier les détails » et tout au long du livre, il est d'un effroyable pessimisme ; c'est votre vision de la vie ?
Dans les mauvais jours, oui. Je suis une grande pessimiste mais ça ne se voit pas car j'ai beaucoup d'humour. Je suis très pessimiste mais je veux résister car j'ai une lueur d'espoir. Je ne suis pas encore paralysée par le pessimisme, sinon je n'aurais pas écrit ce livre. Je suis juste réaliste, non pas cynique, sinon je ne m'en sortirai pas. Je suis issue des mouvements sociaux protestataires des années 60-70 et quand je vois ce que sont devenus certains de ceux qui militaient avec nous, aujourd'hui parfaitement « installés », je me dis qu'il faut encore résister, ce que je fais avec quelques amis.
Avez-vous rencontré des membres appartenant à des clubs de graines ?
Il y a deux clubs dans le livre. Le petit monté par Betsy est une pure fiction. En revanche le grand existe et c'est aujourd'hui un mouvement très important. J'en ai été membre et j'ai arrêté il y a plus de dix ans.
« Le célèbre tableau de ce psychopathe scandinave [...] celui où le type se tient les oreilles en hurlant sur le pont parce qu'il est à court d'Aquavit », c'est votre interprétation du tableau « Le cri » de Munch ?
Oui. Mais n'oubliez pas que c'est Ben qui dit ça... Bien sûr, il y a mon interprétation personnelle.
Vous mettez parfaitement en évidence tous les méfaits liés à l'agrobusiness et aux multinationales qui ne courent qu'après le profit au mépris de tout le reste. Votre livre est sorti en 1994 et on commence juste à s'interroger sur ces problèmes en Europe. Alors, vous êtes précurseur ou nombreux sont ceux qui avaient déjà commencé à s'intéresser à ce phénomène aux Etats-Unis ?
Ça commençait juste mais j'ai débuté les recherches en 1990 et fini le livre en 1991, donc on peut dire que je suis précurseur. J'étais trop en avance pour les Etats-Unis. J'ai dû faire beaucoup de recherches originales et pour ça, j'ai interrogé de nombreuses personnes, lu beaucoup d'articles, assisté à de nombreuses conférences de professionnels sur les graines... J'ai lu leurs journaux et des textes académiques, des comptes-rendus... Au début, il n'y avait pas d'articles sur ça, c'était juste des journaux académiques et il n'y avait pas de journaux « engagés ». Pour mon polar, on m'a dit « beau travail, mais faites plutôt un essai qu'un polar » ! J'ai fait ce livre car je voulais en parler. Ça a mis quatre ans pour être publié en France et ce ne l'est toujours pas aux Etats-Unis.
Le scénario de l'homme et de la femme qui ne s'apprécient pas mais sont obligés de cohabiter ... vous ne trouvez pas ça un peu trop classique ?
Non, pas du tout du fait du registre des deux personnages : Ben est très classique mais Hattie ne l'est pas du tout. Aux Etats-Unis on m'a dit refaites votre livre et mettez une femme comme personnage principal en virant le gars. On m'a même conseillé de mettre une femme « qui ait des couilles » car il y a un fort lectorat féminin ! Je ne trouve pas le scénario trop classique car il n'y a pas le personnage de la femme fatale qui mène l'homme à sa perte. Hattie est franche, sincère... Loin de tout cliché. En plus, elle est assez âgée, comme Ben.
L'écrivain public
Echo Park, vous y habitez. Je présume qu'il y a une bonne part de vérité dans votre livre...
C'est une fiction. Tous les personnages sont fiction mais, évidemment, la forte description de la couche sociale est réelle. Le coin est très vallonné. Au dessus, sur les collines, il y a de somptueuses maisons (Brad Pitt vient d'en acheter une) alors qu'Echo Park est toujours déglingué et mal vu. Au bas des collines, il y a tout le rejet de Los Angeles : SDF, immigrés... Il y a une grande tranche socio-économique sur les collines, bourrée de fric, alors que juste en bas, se trouvent les plus pauvres, littéralement et géographiquement.
Les hélicoptères sont très présents, on se croirait dans « 1984 » de G. Orwell. C'est une telle calamité ?
Oui, mais il y a longtemps que je n'ai pas lu « 1984 ». Dans notre quartier, c'est un véritable état de police et les gens qui vivent dans les beaux quartiers ont du mal à croire que c'est tellement présent et oppressif. Je vis dans ce quartier depuis vingt ans et même si ça décroît, c'est toujours aussi insupportable. L'année dernière, ils ont sorti de nouveaux hélicoptères, les « hélico à deux places » qui, je pense, vont se développer. Ils peuvent encore voler plus bas et sont pires : ce sont les roadsters des hélicoptères.
J'habite au dessus de Sunset Boulevard. Au bas il y a, comme je l'ai déjà dit, tout le rejet des gens et il y a de nombreux crimes et donc de nombreux hélicoptères. Ils sont très présents et très choquants. Ils vrombissent à côté des fenêtres et les choses craquent dans les maisons lorsqu'ils volent trop bas, ce qui arrive deux fois par jour. La nuit, c'est pire, ça coupe le sommeil... On dit souvent que Los Angeles est le début de tout dans le monde : c'est le début de la police au dessus de vos fenêtres. Pour finir, sachez qu'un jour j'ai porté plainte à la police par rapport à ces nuisances. Ils m'ont littéralement dit que vu ma situation je n'avais rien à faire dans le quartier et ils m'ont invitée à déménager. Face à ce comportement abject, je voulais m'élever à ma façon.
Joe a une passion pour Simenon. Est-ce votre cas ?
Oui. Je ne peux pas trop lire de choses en français car je suis quand même assez limitée et j'aime beaucoup Simenon. Mais, comme je le dis dans le livre, ce que j'apprécie ce sont ses romans, pas les Maigret. J'adore ça, c'est très noir et les gens sont déplaisants. C'est un peu la critique que les gens font à mes livres. Le problème est qu'on ne peut pas faire des livres qu'avec des gens gentils : ça ne correspondrait en rien à la vie.
Quelles sont vos lectures ?
Je ne lis pas beaucoup mais j'aime Chandler, Graham Greene et des gens plus récents tels Chris Offutt et Larry Brown.
Préparez-vous un autre livre ?
J'ai fait beaucoup de recherches mais je n'ai pas encore trouvé le moyen d'en faire un livre. Ce sera un polar comme « Gangraine » car je veux montrer des choses cachées de la société, des crimes économiques. Actuellement, je ne peux pas encore en parler. Mais j'ai fait tellement de recherches qu'il faut que je trouve un moyen de faire simple et d'en parler.
Et bien merci.
Interview réalisée par Christophe Dupuis, le 25 octobre 1999.