retour a l'accueil accueil -> chronique bd n° 8 (suite et fin)

Les lectures BD de Stéfan
l'ours-polar

Le coin du buleur

par Christophe

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Eric Corbeyran, Portrait d'un scénariste bordelais


par  Christophe Dupuis

 

Présentation du livre

-Paroles de Taulards
Scénarios : Corbeyran (d'après les histoires des détenus), Dessins : divers.
Edition : Delcourt, Collection Encrages
112 pages, 16 x 23 - parution novembre 1999
« Paroles de taulards » est le fruit d'un atelier d'écriture en prison qui a permis à six détenus de parler d'eux, raconter leurs histoires, leurs espoirs et désespoirs... avec Corbeyran, qui lui, en retour, leur a parlé de son métier et leur a expliqué comment leurs récits deviendraient des scenarii. S'en est suivi l'adaptation par les auteurs et voici le résultat : un superbe album collectif, puissant, émouvant, fort et intense, profond où l'on sent le vécu. Le traitement BD est impressionnant, en particulier celui de Marc-Antoine Mathieu, de Christopher et celui d'Alfred.
Ce livre est le fruit d'un travail de seize mois, il a été réalisé à la maison d'arrêt de Blois et l'idée en revient à l'association BD-Boum.
 
 
 

C'est pas tous les jours que l'Ours sort de sa tanière, mais comme Corbeyran est bordelais, s'eût été dommage de s'en priver (dire que Richard Guérineau aussi, mais on l'a su trop tard, ce sera pour une autre fois)... surtout qu'après être passé chez lui, on ne regrette rien tellement cet homme est sympathique.

Eric a une bonne trentaine d'année et une bonne quarantaine de scénarios derrière lui. Eclectique, il n'a pas de registre de prédilection et le spectre de ses scénarios balaye des enfants (mais non, ce n'est pas un ogre, pensez plutôt à des textes poétiques et tendres) jusqu'à l'Heroic Fantasy (plutôt violent) en passant par le polar (ce sur quoi nous nous attarderons ici), l'aventure... Dans son oeuvre, plusieurs thématiques sont récurrentes mais traitées sur des supports différents.
Cet homme qui n'aime pas s'imposer des choses trouve qu'un livre doit être le fruit d'une rencontre, c'est pourquoi, comme chaque dessinateur est différent, aucun livre ne se ressemble.
Corbeyran est un homme qui écrit vite mais mûrit ses projets longuement. Pour lui, le fond est plus important ; il passe du temps pour savoir ce qu'il va mettre dans son histoire, qui est une question de dosage et d'alchimie. De fait, une idée peut n'aboutir qu'en six mois ou un an, mais ensuite tout va très vite pour le découpage technique, aspect sur lequel il ne se pose pas trop de questions. Bien évidemment, plusieurs idées se baladent couramment en lui, mais ce n'est pas un problème « j'ai la chance d'avoir un esprit assez compartimenté, un peu comme un ordinateur, où se trouveraient de nombreux fichiers, ce qui me permet de me consacrer successivement à différentes idées »... ah, miracle de la technologie.
 
 

Voici le résultat d'une petite interview
portant sur deux de ses livres

D'abord, les trois premiers volumes de la série Le chant des Stryges (dessin R. Guérineau, couleur I. Merlet, chez Delcourt), que nous vous avons présenté en intégrale dans L'Ours-Polar n° 7.

Alors, question classique, comment est née cette série ?
C'est parti sur un constat d'échec avec la série L'as de pique (Editions Dargaud) que nous avions fait avec Richard Guérineau. L'histoire se déroulait pendant les années 30, dans le milieu bordelais, avec un anti-héros.
Face à cet échec (série arrêtée par l'éditeur), nous nous sommes réunis avec Richard pour réfléchir à ce qui n'allait pas et dans l'objectif de créer une série grand public. On a bien vu qu'il fallait radicalement changer notre fusil d'épaule : mettre en scène un héros avec « un profil de héros » ; situer l'action dans un décor contemporain (l'Amérique, c'était l'idéal) avec un peu de fantastique ; cibler le grand public et enfin, prendre un dessin plus réaliste. Richard en a profité pour arrêter la couleur c'est pourquoi nous avons travaillé avec Isabelle (Félicitation à elle. ndlr).
 Ensuite, le mot d'ordre a été « densité » et nous avions tous les trois ce mot affiché au dessus de la tête lorsqu nous travaillions. Densité dans l'histoire, dans les cases (beaucoup de cases par planche), dans le détail du dessin, dans la couleur, les dialogues...
Lorsqu'il a fallu aborder le scénario, tout était fait et c'est devenu beaucoup plus classique. On s'est basé sur une réalité alternative, en se demandant comment réécrire l'histoire du monde... c'était sympa, on était un peu les maîtres du onde et on observait les conséquences de nos actes.

Vous prévoyez combien d'albums ?
Ça dépendra du succès... Ce qui est sûr c'est que le premier cycle « Le cycle du complot », comportera six albums, avec la solution dans le dernier. Il n'est pas question pour nous de frustrer le public ni de l'embarquer dans une série sans fin. De toute façon, tout est déjà en place, tout est écrit et chaque épisode lève le voile sur une partie de l'histoire. Après nous entamerons un autre cycle, qui développera des points de l'histoire... nous avons beaucoup, beaucoup de matière.

Dans un des albums, Guérineau est sacrément influencé par le film « Pulp Fiction »...
Ça n'a rien de nouveau. Nous sommes tous deux très influencés par le cinéma et la série L'as de pique était truffée de clins d'œil (Y'a même Eric en affiche du film Tarzan. ndlr)

Bien, abordons Paroles de Taulards.
 Paroles de Taulards est un travail de commande. L'association BD-Boum (organisatrice du festival de Blois) a l'habitude de réaliser des ateliers d'écriture en prison depuis des années. L'association fait un énorme travail de mise en confiance avec les détenus, tant au niveau du travail que de la confiance en eux. L'année dernière, l'atelier devait déboucher sur une publication et on m'a demandé d'être la « rotule » du projet. J'ai donc accepté et rencontré les détenus qui avaient produit leurs histoires. Je les ai vu, j'ai lu leurs textes et leur ai expliqué comment leurs récits linéaires allaient devenir des séquences de BD. On a beaucoup parlé technique.
Cet échange a duré une journée au terme de laquelle ils entrevoyaient ce qu'allaient devenir de leurs productions.
Sorti de prison, j'ai commencé à gamberger sur les histoires. Quel graphisme mettre sur telle histoire ? Quel angle d'attaque pour une autre ? Car chaque histoire avait en elle-même un style auquel il fallait donner une tonalité particulière et donc un dessinateur le plus en accord possible. J'ai contacté les auteurs et très peu ont refusé... ce fut très positif et ils se sont tous bien attachés à ne pas trahir le scénario, qui essayait de respecter au mieux le travail des détenus.

Quand le bouquin est sorti, les détenus l'ont vu ?
Tous. On a fait une rencontre à Blois, avec des dessinateurs et les détenus qui restaient (certains étaient partis à Fresnes, d'autres à Fleury). Il y en a un qui m'a dit « c'est l'expérience qui me restera de mon séjour en prison »...

Alors une expérience forte ?
Oui, particulièrement. L'un des moments les plus intenses fut ma visite à la prison ; l'autre, une fois sorti, quand je me suis retrouvé seul avec les textes et que je n'avais pas encore contacté les dessinateurs. Tout le travail restait à faire. C'était bien différent de l'ordinaire où je bosse sur une fiction et où je n'ai pas de comptes à rendre. Il y avait des hommes derrière moi, des hommes en transit, des hommes en souffrance... pas question de les décevoir. Humainement, ce fut une expérience forte et professionnellement une superbe occasion de réunir grands dessinateurs pour un ouvrage collectif.

Merci bien

Interview réalisée par Christophe Dupuis

Note :
A l'orée du festival d'Angoulême, sachez que deux nouveaux albums qu'il a écrit vont sortir dont le premier tome d'un nouveau cycle Le fond du monde (avec Denis Falque aux Editions Delcourt) et que Lie de vin (avec Berlion au dessin, Editions Dargaud) est nominé pour le prix du meilleur album.

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