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La Daube
l'ours-polar

La daube décortiquée 
par Francis Mizio
et son 
Daubator Multibroyeur Personnel TM (DMP)


>D'aucuns pourraient croire qu'il est facile de tenir une rubrique qui traite de l'art de la daube. Que nenni, lecteurs et lectrices chéries, on ne vit travail plus difficile. S'il falloit se contentoit de piocher dans les publications où la daube estoit avérée, cela seroit facile. Le rédacteur de cette rubrique, croyez- moi en bave pour trouver de la bonne daube propre à alimenter sa rage de zoïle, sinon ses théories éclairantes. Ainsi, ne peuvent rentrer dans cette rubrique que les daubes immémoriales, et surtout les plus chantées. Bref, celles dont on nous dit qu'elles sont, de la littérature. Genre : lisez ça bon peuple, c'est du bon chante le choeur des vierges, et soyez respectueux.

Et c'est pourquoi nous allons parler aujourd'hui d'un livre dont on nous rebattit les esgourdes : Blue Moon, de Dominique Sigaud, chez Gallimard et ça vaut 80 F. les 250 g. bien frais, bien moulés.

Daubator (tm)

Blue Moon est non seulement, une vraie daube — nous allons voir pourquoi — mais en plus c'est probablement de la daube d'anthologie. Et comme toute Daube de qualité Deluxe, elle mérite qu'on s'y penche. Les odeurs qu'elle dégage et qu'on apprend à cette occasion à reconnaître permettent d'apprendre à s'écarter des prochaines livraisons similaires.
L'histoire de Blue Moon : un noir nommé Aaron Robbins tue une blanche, il va être exécuté. On assiste à ses entretiens avec (qui déjà ? pourtant je viens de le lire). Ah oui : avec son avocat, avec l'aumônier, avec...on s'en fout.

Ce livre est grave. Grave parce que si chanté qu'il s'en est vendu pléthore, alors qu'il est d'une indigence littéraire rare. C'est de l'esbroufe totale. Et va rattraper les lecteurs, toi après ça.

Passons sur la collection de blanche qui publie du noir qu'à la série de la même couleur chez Mme la même maison, on ne se risquerait surtout pas à publier un tel truc. A croire que littérature blanche (ou générale) française signifie aujourd'hui daube... Mais n'exagérons pas (quoique...).

Passons sur tous ces écrivains qui se mettent au noir et au polar pour... vendre ? Ah, j'ai dit le mot sale. Pfouuu je crache par terre excusez-moi. (Y'a par exemple un autre cas grave au Seuil, dans le polar philosophique, Michel Rio, dont France Inter chante régulièrement les louanges). Ne ricanons pas, restons de modestes humanistes compassionnels. 

Passons sur le schéma lourdingue de Blue Moon : la noir/la blanche et les bonnes intentions qui vous en laissent plein les mains. Il y a pire : le noir tue la blanche parce qu'il veut se la faire après l'avoir rencontrée dans une boîte de jazz. On voit le truc sous-jacent : c'est une histoire, donc, de Nègre car ils ne peuvent avoir des envies de meurtre que pour sauter des blanches (vieux fantasme reptilien et racisme tapi) et dans des boîtes de jazz car c'est bien connu, les Noirs ont le rythme dans le sang et la musique, ça les rend sauvages. Faut dire qu'elles sont grosses comme ça, leur ... Stooooop, la ! Dominique Sigaud doit avoir des disques de jazz et peut-être même des amis noirs, mais ne doit pas parvenir pas à s'y faire complètement. En passant, ça fait penser à un nouvelliste de chez Rivages, homme charmant et sincère au demeurant, mais qui devrait arrêter d'écrire en écoutant toujours les mêmes vinyles, ça nous changerait (Vous savez, le genre : voici un disque enregistré dans la cave du 24 rue Emile Poirier le 17 septembre 1952 à 21 h. 56 à Besançon avec Tom « Chicos » Martin à la basse et Maurice « Trois jambes » Dupont à la clarinette. La température extérieure était de 21° . Ecrivez une intrigue en citant ce disque).

Sur cette trame profonde (noir au nom biblique/la blanche feu au cul et lui le zébou qui le démange car il y a du jazz) on relève dans Blue Moon divers éléments que l'on pourrait regrouper sous un vocable collectif — que la communauté scientifique pourra reprendre à son compte pour ses travaux lorsqu'elle lira l'Ours Polar — à savoir : le facteur chiant.
Qu'est ce que le facteur chiant, cet élément constitutif de la daube en littérature survendue et surfaite ? 

1) Des dialogues à la Duras. C'est-à-dire des dialogues vides de sens dans des paragraphes à la ligne pour obtenir un effet de profondeur. Exemple (avec sauts de  lignes, on respecte le ton) : 
— Il reste du gâto ?, dit l'avocat
— Oui, dit Aaron. Et du munster, aussi.
L'avocat resta bouche bée devant tant de grandeur d'âme.

Non je déconne, là. J'invente. Voici, un véritable extrait au hasard, (c'est tombé page 133, véridique) :
« Il aurait aimé s'approcher d'elle et la prendre dans ses bras, mais se rapprocher maintenant, comment aurait-il pu ?
Il se tourna pourtant vers elle.
— Tu as bien fait, dit-il,
et ils se turent.
Il serra sa main brièvement.
— Tu as bien fait, répéta-t-il,
Alors elle demanda à son tour : 
— Comment vas-tu ? ».

Je vous jure que c'est un vrai passage, cette fois. Y'en a des pages et des pages de la même farine (au son, celle qui fait aller). On se croirait dans le théâtre d'avant— garde quand un type en collant sur une scène vide s'adresse à un hareng saur posé sur un tabouret et lui demande s'il a lu Mein Kampf.
2) Enculage des mouches et de la ponctuation : signe de modernité et de progressive working. Un air Claude Simon (on est en littérature, le noir doit être chiant, sinon on verrait que c'est du noir sous une couverture blanche). Je donne pas d'extraits car quand Dominique Sigaud à un accès de sodomie de ponctuation, ça fait une page et ça me gonfle de recopier.
3) Des situations inattendues : le noir tient à être exécuté pour sa faute au grand dam de son avocat. C'est son côté obscur, sûrement. Le côté dramatique, voyez. Un Noir dans le noir sous couverture blanche, le lecteur ne doit pas pouvoir y voir bien clair, forcément (en fait c'est un truc pompé sur l'affaire Gary Gilmore, voir plus bas pour le titre).
4) Quand le Black ne s'exprime pas comme un Hamlet de théâtre subventionné, il lit Faulkner (Le Bruit et la Fureur). J'ai essayé trois fois pour ma part, mais je suis pas danseur de jazz, faut dire. Bref : vaaaachtement crédib'.
5) Si j'avais que ça à faire je vous détaillerai les bonnes intentions sirupeuses, coups de fatigue de Sigaud, poncifs, fantasmes trahis ... Prise en otage du « drame » et des enjeux du sujet. Foutage de gueule du lecteur, charabia et baragouin, salmigondis et amphigouris. L'écrivain qui se penche sur la condition humaine, les pauv'gens, voyez. On pourrait faire un bouquin sur le bouquin qui serait plus épais que le bouquin. C'est dire. Mais faudrait que je parvienne aussi à le lire jusqu'au bout, le bouquin.
Sincèrement, c'est affligeant.
Franchement, c'est même parfois limite puant.

Tiens : une petite pour la route, page 88 (car il y aussi du n'importe quoi, c'est la daube in-té-gra-le)  : « Ils l'avaient trouvé mort quinze jours plus tard, roulé en boule comme un enfant nouveau-né dans le ventre de sa mère ». Cherchez l'erreur et gagnez un disque de jazz.
Correcteur du livre de Sigaud: je ne le souhaite pas à mon pire ennemi, car Sigaud doit être du genre à considérer sa daube comme définitive, à ne supporter aucune retouche. D'ailleurs j'en veux pour preuve qu'à la fin du bouquin, à cause de ses paragraphes sautés et ses dialogues en trois lignes, il y a eu des problèmes de mise en page. Car y'a dix pages vierges. 
 

Que s'est-il passé ? Voilà en exclu pour vous : 
— Allô Gallimard, c'est Pichon, le chef d'atelier, dites, il ne manquerait pas du texte pour BLOUMOUN ? On a un gros problème de cahiers, ça va gâcher des feuilles ! (148 pages de texte seulement, et corps de typo pour malvoyants). L'auteur pourrait pas rajouter une scène de dialogues ? Par exemple, l'avocat demanderai du gâteau et...
— Non, non, on ne touche pas à du Sigaud. Tant pis, allez-y, après Sigaud le silence est encore de Sigaud. Rajoutez dix pages vierges...
Je rigole, mais je prends tout de même Blue Moon et je le plonge sans hésiter dans mon Daubator Multibroyeur Personnel TM (DMP) et je vais vous dire une chose, les enfants (regardez moi dans les yeux) : C'est pas demain qu'un auteur de blanche pourra se coltiner un drame sur la peine de mort. Allez en Fnac, arrachez les pages vierges à la fin de Bloumounne et notez dessus ce titre, Le Chant du Bourreau, et cet auteur : Norman Mailer. Pour l'instant, sur le sujet, y'a pas mieux, sauf erreur. Et Mailer est aussi un véritable auteur de noir, et lui la bête littéraire, il l'a domptée. Alors, les salonnards, circulez. Vous voyez pas que vous étalez votre daube sur mon lino ?

Francis Mizio

> daube cinq

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