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l'ours-polar |
Poursuivons camarades avec effort notre labour de l'éminente et naissante science daubologique, avec tous les risques que cela comporte (1). Traquons sans répit les moindres critères daubiques, repérons sans remords la daube insidieuse, la daube virulente, la daube inattendue, la daube prévue, la daube réflexion faite, la daube annoncée et la bête à deux daubes. Que l'histoire littéraire retienne nos noms (et envoyez vos propres réflexions daubiques à l'Ours Polar quand vous voulez, bande de fainéants. Les meilleures contributions recevront à titre gracieux une vraie daube, vous pouvez nous faire confiance)...
Bref.
Tu es là, cochon de lecteur payant, prêt à dépenser quelque argent pour t'adonner dans le plus grand secret à ce vice honteux de l'ère de l'image : la lecture. Pour ce faire, dans tes petites mains rougies par la Javel - tu travailles dur, mais tu restes digne- tu serres quelque monnaie bien maigre qui te permettra d'acquérir un livre de poche, et encore parmi des moins chers. Tu es debout devant le rayon. Tes yeux fatigués par l'amiante errent sur des couvertures aux illustrations alléchantes (2), sur des bandeaux rouges qui se rappellent à ton esprit laminé par le travail en équipe (3). Tu te saisis d'un ouvrage, tu le palpes, tu le malaxes, tu feuillettes les premières pages et tu le RETOURNES. Et là, brusquement, avec une VIOLENCE INOUIE tu te fais choper tel la pauvre épinette par l'hameçon de 34, par LA QUATRIÉME DE COUVERTURE.
Tu n'en ressors pas indemne : la preuve. En sortant tu as acheté une daube et tes économies ont fondu. Misère.
C'est le texte qui est au dos du livre. Il comprend soit un résumé du livre, soit un extrait significatif. Il peut s'y voir adjoindre une courte bio de l'auteur, ainsi que son éloge, et, ce qu'on appelle, une « prière d'insérer », soit un extrait des louanges que la presse en a fait (ou pas, on le verra).
Pour découvrir et lire ce texte :
il
faut retourner le livre une fois si l'on a en face de soi le devant du livre
et
deux
fois si la face du livre est dirigée vers le sol.
A faire vendre le livre. C'est donc suspect de base.
a) EXEMPLE FICTIF DE DAUBE, SON AUTEUR ET SON CONTENU.
M. X, sans-papier risquant le charter salarié comme animateur social depuis vingt ans par une mairie sans étiquette a écrit un roman d'amour.
Titre : « ET ÇA SERA BIEN PROFOND »
C'est l'histoire d'un jeune homme nommé « Suprême Doigté » et d'une jeune fille connue sous le pseudo de « NiqTaReum ». Suprême Doigté est membre du gang des Chevaliers du Bloc 12 et NiqTaReum du gang des Pétassias de l'Escalier H. Ils s'aiment, mais leur amour est impossible, car les gangs sont ennemis depuis une obscure histoire de teuf qui aurait mal tourné à cause d'un vol de walkman et d'une embrouille sur la colle à rustines. Tout cela finit en tragédie, alors que les cops n'interviennent pas, ces bâtards. Ce livre se veut une parabole universelle sur l'amour contrarié, la vente de baskets de douze kilos sans lacets et une dénonciation des conditions de vie en banlieue. Supposons par ailleurs que ce troisième ouvrage d'un auteur inconnu, passé totalement inaperçu, le restera et qu'il est fort mal écrit, fort mal construit, voire parfois incohérent. Il est bourré de coquilles et enfin l'éditeur est en fuite au Brésil avec l'argent des auteurs.
b) QUATRIEME DE COUVERTURE type « résumé ».
« 1999. C'est la guerre entre le bloc 12 et l'escalier H. Dans cet univers urbain violent, entre sexe et drogue, « Suprême Doigté » et « NiqTaReum » s'aiment, malgré tout. Mais leur impossible amour les mènera jusqu'au drame insoutenable sous le regard des autorités indifférentes, lubriques, sodomites, corrompues, voire peu aimables ».
Vingt ans après l'inoubliable « Ils vont nous la mettre » (Ed. du Chat qui pête, 1976) remarqué par la presse, X enfonce le clou avec « ET ÇA SERA BIEN PROFOND ». Rarement un auteur au ton si original, audacieux dans sa construction littéraire, aura dénoncé aussi catégoriquement les dérives de cette fin de siècle.
X, est fonctionnaire depuis vingt ans au Ministère de l'Éducation. Sa parfaite connaissance des milieux sociaux des plus défavorisés en fait un témoin lucide des drames de notre société.
« Impressionnant ». L'Hebdo du moissonneur-batteur corrézien (1976, à propos du premier roman de l'auteur).
« Mais où va-t-il chercher tout cela ? ». La revue du garçon coiffeur moderne (1986, à propos du recueil de poèmes auto-édité « Ta mob contre ma meuf » ).
c) QUATRIEME DE COUVERTURE type « extrait ».
« Suprême Doigté claqua la porte des toilettes. Des relents d'urine lui sautèrent aux naseaux. Son désir devint plus fort que lorsque son bipeur vibrait dans la poche de son jean.
Devant lui, NiqueTaReum, torse nu lui tendait les deux seins énormes de son opulente poitrine mamellière. Il baissa les yeux. Elle était en fait entièrement nue. La touffe broussaillait comme un buisson de mousse des sous-bois, mais en plus noir et sans girolles.
— Baise-moi, dit-elle en se passant une langue démesurée de la pointe des lèvres à celle du menton.
— Ici ?, jacta Suprême Doigté en regardant le local putride qui je l'ai déjà écrit plus haut sentait fort la pisse.
Elle se retourna. Il vit les deux globes blanc de ses fesses tatoués chacun de la moitié de la forme du dernier CD de « Gangsta Ratata ».
— Non ! Là !, fit elle en rougissant, quoique il ne voyait plus son visage penché au-dessus de la cuvette qui débordait. »
Témoignage sociologique poignant des conditions de la vie des cités « Et ça sera bien profond » est un véritable appel à moins de violence et de sexe dans notre société décadente, que lance X, animateur social depuis vingt ans dans son second roman au style clinique et sans complaisance.
« Impressionnant », a écrit un journaliste à propos de l'oeuvre de X. Après une telle insoutenable, mais nécessaire, lecture, gageons que chacun en sortira bouleversé.
Toute quatrième de couverture est donc un indice daubique fort (racolage, choix des citations de presse, exagération perceptible des bios et intentions de l'auteur, formulation même du texte). Une fois encore, reprenez les daubes que vous avez lues récemment et que vous n'avez pas encore plongées dans le Daubator (TM) et comparez. Amusez-vous à repérer les indices... L'Ours Polar ne raconte pas que des...
Tiens, juste une anecdote, en passant. L'auteur de ces lignes fut jadis journaliste dans un quotidien national dont l'encre tâche les mains. Il avait alors en charge une colonne de critiques d'ouvrages sociologiques, pratiques ou de fiction tournant autour du multimédia et des nouvelles technologies. Un jour, ayant à chroniquer un thriller dans lequel il était question de réalité virtuelle (lequel bénéficiait d'une forte campagne de pub), je fus fortement agacé par les ficelles qu'empruntait l'auteur. Ficelles qui rattachaient l'ouvrage à notre chère catégorie daubique, voire davantage (on se f... de la g... des gens à un point que cela méritait descente en flammes précise avec argumentation en béton). Ce que je fis. J'écrivis donc longuement, car lorsque le cas est édifiant une critique négative est alors justifiée, pourquoi ce bouquin était vraiment daubopathique. Très longuement. Le genre de critique dont on ne se remet pas (mais comme on se f... de la g..., etc.). Toutefois, reconnaissant au final que l'auteur maîtrisait bien la structure du thriller (donc malgré ses stupidités démagogiques), j'écrivis en fin d'article un truc genre « à cause ce point, c'est un auteur à suivre ». Et bien sûr, on me signala peu après des pubs qui clamèrent : « Un auteur à suivre (Libération) ».
CQFD. Ç'avait donc été bien profond.
Notes :
(1) — Ça recommence, les notes de bas
de page. On se croirait chez Pierre Marcelle de Libération. Mais bref:
le sujet de celle-ci concernait les risques. En effet, la création
ex nihilo d'une science (ici, la Daubologie, et avec brio je dois modestement
l'avouer) ne comporte-t-elle pas des risques inconséquents pour son
créateur? Un exemple : Régis Debray, inventeur de la "'médiologie"
(étude des médias et des réseaux, ça va jusqu'aux
canalisations d'eau et voies ferrées — je ne plaisante pas) qui
nous a pété les plombs pro-serbes. Et si la Daubologie m'emmenait
elle aussi sur des voies de l'esprit, dites de garages ou d'égoûts
? J'en frémis, quoique je ne me vois pas ici et là défendre
l'idéologie de SAS, l'Exécuteur et autres Alias. Mais qui peut
dire comment vieillissent les ours polaires lorsqu'ils ont des cheveux blancs
?
(2) — On en parlera, des tableaux de David
Hopper, de ceux de Jérôme Bosch, des images de vieux films et
autres culculteries 3D destinées à t'arnaquer, lecteur-lectrice
chéri (e) dans un numéro futur. Faut que je rumine avant ma
mauvaise foi d'ici là, car la Daubologie à force ça devient
compliqué à creuser.
(3) — Aaah, les bandeaux rouges ! Quelle invention
! Ils seront l'objet de notre prochain Ours en Daube.