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La Daube
l'ours-polar

Par Françis Mizio


Du rififi chez les goudous

Le polar vu par les lesbiennes


-La Daubologie, cette science nouvelle en plein boom ne pouvait se contenter d’être pure théorie, pure analyse jus-de-crânesque. Un jour ou l’autre, il lui fallait mettre les mains dans le cambouis. C’est-à-dire lever le capot d’un certain polar au risque de relever la tête en se pinçant le nez (donc en lâchant le capot et se le prenant sur la tronche). 
Hé bien c’est aujourd’hui que ça se passe : la Daubologie passe au travail pratique, voici la première séance de Daubologie de Labo avec analyse d’une pub. Attention, ça va fouetter. 
J’ai nommé : 

Du rififi chez les goudous
Le polar vu par les lesbiennes.

Ce n’est pas moi qui l’écrit, je ne me permettrais pas de traiter des gens que je ne connais pas de «goudous», c’est un petit éditeur qui par ailleurs sous ce titre nous interpelle : 

Bonjour,

Salut. 

Depuis quelques années, les lesbiennes sont à la mode dans les romans policiers, 

Sans déconner ? 

...que ce soit avec Lauren Laurano, la détective privée de Sandra Scopettone ; Lucy, la nièce de Kay Scarpetta, le médecin-expert de Patricia Cornwell ; Flavia la cantatrice et Brett l'archéologue, dans Mort la Fenice et Entre deux eaux de Donna Leon ; les copines de Kate Brannigan, la détective de Val McDermid ; l'inspectrice Kate Martinelli de Laurie King ; Lena Wertebach, la flic goudou de Maria Gronau dans Affaire de femmes et la journaliste Sandra Khan de Maud Tabachnik, 

Bref, toutes «goudous» sauf maman.

...pour ne citer qu'elles. Incontestablement, les lesbiennes deviennent indispensables au polar...

A ce simple niveau de lecture du mailing, on sent que l’objet de notre dissection va être indubitablement un objet daubique. Les plus grands daubologues ont cet instinct : ça fleure...
Notons que l’alcoolique revient souvent dans le polar. L’alcoolique est-il à la mode ? Notons que le macho revient souvent dans le polar...Le macho est-il à la mode ? L’alcoolique, le macho, les gauchers, les sociaux-démocrates, les lavandières du Portugal, les indiens Hopis, les chats, les chiens, les aborigènes, les bossus, les bancals et les tordus, les hypocondriaques, les employés de bureau, les chauves, les souris, les chauve-souris, les tortues de Floride, les bluesmen et les pompistes sont-ils indispensables au polar ? 
Certes.
Mais poursuivons. 
 

Les Éditions [Nom de l’Editeur] vous proposent donc une série de policiers de cette tendance : Va y avoir mistral, un polar très noir, écrit en 1960 par Elula Perrin et pastichant les romans policiers de l'époque, 

Notons que cette mode récente remonterait donc à loin.

Féminin plurielles de La Duffy, un policier mêlé d'érotisme, L'Habit ne fait pas la nonne et Ne tirez pas sur la violoniste, co-écrits par Hélène de Monferrand et Elula Perrin, mettant en scène Armelle, reporter à la télévision et qui se découvre une âme de détective. Leur troisième volume, Courir c'est mourir un peu paraîtra au début de l'an 2000.

On nous en a promis des choses pour l’an 2000. Mais ça, je ne m’y attendais pas. Finalement, je préférais le bug.

Examinons les plaquettes qui nous livrent des extraits censés nous mettre en appétit : 
 
 

Elula Perrin, Va y avoir mistral

Le Chinois conduit la voiture vite et bien, mais la circulation est devenue plus importante, les autocars stoppent à tous les arrêts pour embarquer des gens qui vont travailler à Nice et il est parfois obligé de ralentir. A Biot, le feu rouge n'en finit plus et Juana énervée tapote sur le rebord de son siège.

Bon, le souffle de l’action et la beauté des descriptions nous entraîne. Allons donc voir plus loin tout de suite : 

Ecrit en 1960, Va y avoir Mistral pastiche les romans policiers de l'époque. 

Ouf. On a eu peur un moment que ce ne fut sérieux. On a cru que ce style ressemblant à des SAS n’était que celui de romans qui n’habillent, si l’on peut dire, que quelques scènes de cul bien grasses, bien voyeuristes.

...A une nuance près : le chef de gang est une femme, Juana, sulfureuse en diable et vraiment très garce.

Ben j’espère. Ca coûte quand même 80 balles cette histoire.

...Une femme de tête oui, mais certainement pas une femme de coeur...

Dommage. On aurait pu croire que les «goudous» avaient des sentiments comme les autres.

...et même si sa préférence va  à Tam une chinoise au physique très ambigu qui tue comme elle respire, Juana consomme également les hommes...

Y’a donc au moins deux chapitres de cul et p’têt un mec pris entre deux lesbiennes, si ça se trouve. Si c’est le cas, ça fait la scène à 26,666666 francs. Correc’.

...sans états d'âme, par désir ou par ambition, écartant négligemment les cadavres qui s'amoncellent sur son passage. Va y avoir mistral, un polar noir très noir, où les femmes ne sont vraiment pas toutes gentilles...

Bon. Ben c’est dans la nuance les personnages. Les lesbiennes c’est donc du cul et de la violence. La psychologie leur est interdite. On avait espéré un moment que ce type de littérature nous changerait des polars daubiques vendus en gare. Qu’ils présenteraient sinon une image de la femme valorisée, bien dans leur vie et rivant leur clou aux homophobes..., du moins des homosexuelles différentes de ce que peuvent imaginer ces gros cons d’hétéros...Et si c’est un polar de cul pour homosexuelles (auquel cas elles ont tout-à-fait le droit de lire ça comme un beauf lit SAS) ? Hé ben on est content d’apprendre qu’elles vibrent aux mêmes 
clichés en dentelles.
A moins que ce ne soit des « produits » pour mecs qui avancent masqués...? Non ? 
Alors-là-je-le-crois-pas.

Bon, allez, un autre extrait vite fait, de L’habit ne fait pas la nonne (faut prononcer le «t» à la fin de l’habit, c’est ça ?). C’est du Montferrand-Perrin, car ce genre de trucs, ça s’écrit visiblement à deux : 

- Ça va ? demanda Armelle à Manuela en l'embrassant
- Ça pourrait aller beaucoup mieux. Tu vois les trois filles là-bas ? Ce sont des flics, des 
inspectrices de la criminelle.
- La crim', ici ? Chez toi ?
- On a trouvé un cadavre ce matin dans les toilettes. C'est une strangulation par foulard Hermès. Je crois avoir identifié un modèle que je connais. Je peux me tromper remarque, mais ça m'étonnerait parce que j'ai assez bien regardé, quoique rapidement. 

Bon, ben t’as regardé ou t’as pas regardé ? 

Les cadavres ne m'impressionnent plus et je peux les dévisager sans broncher. Mais là, devant tous ces flics, j'ai préféré tourner de l'oeil aux trois-quarts. Logiquement, c'est ce qu'ils attendent d'une femme bourgeoise et honnête.
- Quoique goudou. Tu peux m'en dire plus long ?

Il y a bien le mot « goudou ». L’éditeur tient ses promesses.

- C'est Sebastiano, l'homme de ménage, qui a trouvé le corps à dix heures du matin. J'ai appelé le commissariat du quartier et je suis arrivée le plus vite possible, en même temps que la criminelle qu'ils avaient évidemment fait venir avec toute la smala qui va avec et qui a débarqué en ordre dispersé : le médecin légiste, l'identité judiciaire, les mecs du labo avec leur matériel, un bordel monstre ! Je peux t'affirmer, comme à eux, qu’elle n’y était pas hier soir.
- Les flics t'ont crue ?
- Aucune idée, mais s'ils font correctement leur métier, ils doivent douter de moi comme de n'importe qui. C'est ce que j'ai appris en lisant les histoires de miss Marple. Un cadavre, qu'il soit trouvé dans la bibliothèque d'un cottage ou dans une boîte de nuit, ça fait franchement désordre. 

Tu l’as dit bouffie. (J’ai mis un « e » à « bouffi » car je n’ai pas oublié que c’est un polar « goudou ». J’ai bien tout suivi)

Bon, ben cette séance de daubologie clinique expresse s’achève. Même pas besoin de lire les bouquins. Les plaquettes de pub suffisent. Et je souhaite bon courage aux homosexuels et lesbiennes qui cherchent à être reconnus comme tout le monde (comme tout le monde hétéro, veux-je dire. Soit qu’on leur fiche la paix). S’il faut passer par la bêtise et l’exploitation de ses penchants pour arriver à faire admettre son identité sexuelle, c’est vraiment pas simple. Déjà que vouloir s’identifier socialement en mettant en avant ses penchants sexuels, moi, ça me laisse perplexe. 
Et au fait ? Il est « goudou » l’éditeur ?
Je vous embrasse toutes bande de folles.

FM de l’Ours Polar (même pas PD comme un phoque).
 
 

Encadré.
Tenez, regardez ce qu’écrivait il y a quelques temps sur une liste de discussion sur l’Internet un encyclopédiste de talent dont je ne citerai pas le nom, vu que sinon Claude Mesplède va se reconnaître. La discussion portait sur cette manie qu’ont les festivals de créer des débats sur «Les femmes et le polar» ou «Y’a-t-il une écriture féminine». Et ça finit bien sur notre thème « goudous »... (Merci Claude).

Les femmes ont été des pionnières (souvent des éclaireuses) dans le polar.
On a trop tendance à l'oublier. Ainsi le roman noir dit gothique du XVIIIème siècle, ancêtre du suspense psychologique et du roman de terreur d'aujourd'hui a quand même été marqué par Ann Radcliffe. Le premier polar américain a été écrit par Anna Katherine Green (Le crime de la cinquième avenue, disponible au Masque). Le premier suspense (L'escalier en spirale ou en colimaçon, suivant l'éditeur) a été écrit par l'américaine Mary Rinehart. Le premier roman judiciaire (qui se déroule dans un tribunal) est l'oeuvre de Frances Noyes Hart (Le procès Bellamy récemment réédité au Cabinet noir). Est-il besoin d'ajouter que l'auteur le plus vendu de tous les temps reste Agatha Christie? Alors qu'aujourd'hui des romancières empruntent comme moyen d'expression ce qu'on appelle le « roman noir » (définition devenue si vague que chacun y met ce qu'il veut comme ça l'arrange) cela me paraît être une évolution normale de la société, qui va de pair avec l'évolution qu'en a subi en contrecoup le polar. Il ne viendrait à l'idée de personne de continuer à écrire des trucs à énigme comme en 1910/20... Alors quoi de plus naturel que des femmes écrivent dans tous les genres du polar si ça leur plaît de le faire ? 
Ceci une fois dit, attirer sans cesse et de façon renouvelée l'attention sur ce phénomène me paraît relever de l'argument publicitaire uniquement car l'essentiel pour ceux qui lisent reste la qualité du livre, de son intrigue, de ses personnages et de son écriture (thème de débat à la con : Y a t-il une écriture typiquement féminine ? Qu'en pensez-vous Claude Mesplède ?), et peu leur importe si l'auteur est un homme, une femme, un bisexuel ou une lesbienne. Le sexe de l'auteur et ses pratiques sexuelles ne sont pas à priori un critère de qualité. Puisque je parle d'homosexualité pour moi l'auteur le plus important sur un tel sujet, qu'il traite avec tact, humanisme et un grand talent est le romancier américain Joseph Hansen. A l'époque où il a délibérément choisi de mettre en scène un homosexuel compromis dans un assassinat, le sujet était vraiment à contre-courant de la société américaine. C'était au milieu des années 60 et le bouquin s'appelait « Homosexuel notoire ». Outre le fait qu'il s'agit d'un beau livre, il fallait du courage et c'était loin d'être un sujet porteur. Vint ensuite sa série consacrée à Dave Brandstetter, un enquêteur d'assurance homo qui est remarquable surtout si on la lit en la resituant dans le contexte de l'époque où elle fut entamée (1971/2). C'est toute la différence avec aujourd'hui où certains ont fait leur fond de commerce d'un tel sujet. Pour résumer tout mon charabia, le fait d'être écrit par une femme ne donne pas un label de qualité à un bouquin, pas davantage s'il est écrit par un homme d'ailleurs ! ».

Francis Mizio

  - daube huit

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