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Les livres de la collection Serpent Noir

par Paul Maugendre

 

Beneath the Blonde
Stella Duffy

Beneath the Blonde, c'est le nom d'un groupe rock qui commence à faire parler de lui, surtout grâce ou à cause de sa chanteuse, Siobhan, dont la voix n'est pas le seul atout. Un admirateur, mais en est-ce vraiment un, anonyme de surcroît, lui envoie des fleurs, des roses jaunes, et lui téléphone en pleine nuit. Inquiète elle requiert les services de Saz Martin et l'embauche comme garde du corps. Saz, qui se remet doucement des blessures contractées lors d'une précédente affaire. Il lui reste quelques cicatrices sur les jambes et le ventre mais cela n'entame en rien ses ardeurs amoureuses qu'elle prodigue à son amie Molly et dont elle est payé de retour. Saz accompagne en tournée le groupe dans les pays baltiques mais à leur retour le drame est là qui les guette. Alex, l'un des parolier-musicien du groupe, est sauvagement assassiné à l'aide d'une batte de base-ball. Et ce n'est que le premier à passer à la trappe. 

Sur fond de lesbianisme (c'est à la mode !) de rock, de drogue et d'alcool, ce roman qui démarre lentement nous plonge peu à peu dans un univers que l'on connaît peu, et le plus souvent que sous des aspects positifs, embellis par les médias spécialisés : le monde de la musique et des musiciens, de leurs affres devant la création, dans un enrobage d'études de moeurs. Mais c'est aussi, et surtout pour l'auteur de pourvoir parler librement de l'homosexualité féminine sans tomber dans les clichés ou le sulfureux. Quant au plaisir de découvrir l'identité du coupable, il n'en est pas question car le personnage se cache derrière l'envoi de bouquets de roses jaunes agrémentés d'une ou plusieurs roses rouges. Ce n'est point tant d'ailleurs son identité qui importe mais ses motivations, lesquelles transparaissent par petites touches au cours de chapitres égarés dans le récit.

Hémoglobine Blues
Philippe Thirault

Voir l'Ours Polar n°3 [non repris sur les pages internet]

La Polyandre
Bolya

Trois Africains sont retrouvés sur la chaussée, rue de la Roquette à Paris. Un fait divers peu banal, puisqu'ils ont été émasculés et que leurs poils pubiens ont été rasés avec soin. Des sans papiers. Crime raciste ou non, c'est le problème posé à l'Inspecteur Nègre chargé de l'enquête. Une enquête suivie par Bourru, un journaliste qui soigne sa célébrité médiatique. Entre les deux hommes se dresse Oulématou, une Africaine superbe descendante d'une princesse et qui en héritage a reçu pour consigne de perpétuer les traditions tribales. Par exemple elle peut posséder plusieurs maris, mais interdiction à ceux-ci de regarder une autre femme. Sinon, gare aux châtiments. 

Sur fond de trafic de cartes de séjour et de coutumes conférant à la femme une supériorité matriarcale, Bolya nous livre un texte assez humoristique, au cours de laquelle l'enquête est engluée dans les descriptions des us et coutumes de certaines tribus africaines. Un roman noir qui s'inscrit dans un courant dit polar ethnologique et qui permet à l'auteur de mettre en scène des personnages un peu parodiques.
 

Retour au Magenta
Marc Villard

Marc Villard professe envers la ville, l'Amérique, le Jazz, l'adolescence, une passion qui confine à l'obsession et se décline à la façon d'un je t'aime moi non plus. Un peu comme un attrait mitigé d'aversion fortement exploré dans des nouvelles qui souvent prennent aux tripes, les situations y étant souvent décrites comme une conquête improbable d'un Graal inaccessible. Des touches d'humeur, des tranches de vie dont l'humour noir tente de faire digérer l'horreur des situations présentes ou passées. Les personnages vivent avec leurs cadavres dans des placards pas hermétiques et lorsque les portes s'ouvrent, c'est le déferlement de ce que l'on voulait oublier à jamais et qui reviennent en boomerang. 16 nouvelles dont souvent les titres à eux seuls montrent la désespérance de l'univers Villardien : Gibier de potence, Vietnamisé, L'Ange est un clochard, Destroy, dit-il, Train d'enfer ou encore Amnésie provisoire.
 

Les crapules de Courtson cave
Frédéric Godefroy

Depuis dix ans qu'il est retiré des affaires, Mac Dodger Harris vit au fin fond de la Californie, dans le désert de Mojave. Le bled le plus proche se trouve à cinquante miles. Un seul bar tellement crasseux que les routiers préfèrent poursuivre leur chemin. Jusqu'au jour où le passé cherche des noises à Mac Dodger sous la forme de deux agents du FBI qui le recherchent. En compagnie de Shannon, la jeune serveuse délurée, Mac regagne New York et rendosse son habit de tueur et de patron du Courtson Cave, un club qui drainait la populace huppée au temps de sa splendeur. Il retrouve Snake, son meilleur ami, avec qui il a fait les quatre cents coups. Mais pas Samantha, celle à qui il pense toujours, et pas seulement les jours ou les nuits de déprime. Seulement les balles commencent à fuser, et même les missiles lance-roquettes, et il faut bien se défendre, et anticiper parfois.

Roman noir, d'accord, mais surtout parodie, Les crapules de Courtson Cave accumule les poncifs des ouvrages américains des années quarante, cinquante, avec l'alcool, le dur que rien n'effraye, les femmes faciles, les flics pourris, et j'en passe. Le sexe et la trivialité du langage en plus. Un honnête roman qui se laisse lire mais si Frédéric Godefroy veut se faire un nom, il lui faudra dégoter quelques trouvailles et affiner son style.
 

Les filles n'en mènent pas large
Sparkle Hayter

Pour Robin Hudson, la loi des séries dite aussi loi de Murphy, est dans la phase ascendante et nul ne sait quand cela s'arrêtera. D'abord elle est séparée de son mari ce qui est gênant, pas tellement dans le travail, mais pour assumer sa libido. Ensuite elle enchaîne les gaffes ce qui est fâcheux dans un univers professionnel impitoyable, celui de journaliste d'information. Par exemple lors d'une conférence en direct à la Maison Blanche, elle lâche un rot pour le moins inconvenant. Enfin, au cours d'une réception dans un hôtel, elle est abordée par un inconnu qui se dit détective privé et lui propose de lui remettre des documents la concernant. Elle doit le rejoindre à une certaine heure dans sa chambre. A l'heure dite, elle frappe à la porte mais personne ne répond. Le lendemain l'homme est retrouvé mort, assassiné par un objet contondant. Et comme pour cette soirée organisée par la chaîne de télévision où elle est employée comme Envoyée Spéciale, il fallait se déguiser, et qu'elle était venue avec un démonte-pneu, la corrélation entre le meurtre et cet accessoire incongru jette les feux des projecteurs policiers sur son humble personne. D'autant que peu avant elle a eu une altercation avec sa voisine, une acariâtre vieille dame octogénaire. Quand tout va mal, tout va mal. Robin n'a qu'une seule solution, rechercher le meurtrier, qui continue son hécatombe parmi ses collègues.

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les chaînes d'information télévisées sans avoir osé le demander ! Les dessous des reportages, les inimitiés entre collègues, les patrons gestionnaires qui ne pensent que rentabilité, etc.   tout vous est dévoilé avec un humour féroce. De plus vous partagez les affres d'une femme en rupture de mariage qui voudrait bien assumer sa libido mais ne sait pas ou n'ose pas nouer des relations masculines, échaudée une première fois et ne voulant pas recommencer dans les mêmes conditions. Pourtant elle n'est pas vilaine, loin de là, et s'attire les faveurs d'un collègue entreprenant et beau gosse. En toile de fond, car il faut bien justifier sa feuille de paye, Robin enquête sur une banque du sperme dont les résultats ne sont pas du goût des clients. Humour quand tu nous tiens, tu nous fais passer un bon moment et plus que l'histoire en elle même, ce sont les nombreuses digressions émaillant ce roman qui nous tiennent sous le charme.
 

Heureux les imbéciles
Philippe Thirault

Voir Ours Polar n° 3 [non repris sur les pages internet]
 

London blues
Anthony Frewin
Serpent Noir n° 8

Alors qu'il se délecte à l'idée de visionner un film qu'il aime particulièrement, La Loi du milieu (particulièrement bien nommé, vous verrez par la suite !) réalisé par Mike Hodges avec dans le rôle principal Michael Caine, le narrateur se voit frustré en cours de projection. Une partie de la cassette a été occultée et à la place il peut voir un petit film muet, noir et blanc, réalisé au début des années soixante avec des acteurs inconnus qui s'ils prennent leur rôle au sérieux, ont parfois l'air de s'ennuyer dans ce qu'ils font. Un film X, tourné dans le plus simple appareil au point de vue décor et scénario.

Qu'est devenu le réalisateur de ces petites fantaisies sexuelles ? Le narrateur part à sa recherche, interroge ceux qui l'ont côtoyé à cette époque. Mais le cinéaste a disparu un beau jour et depuis il n'a plus jamais fait parler de lui. Pourquoi ?

En réponse à ces questions l'auteur enchâsse le récit de Tim Purdom, le metteur en scène-photographe-réalisateur de ces bijoux, entre deux parties qui servent de présentation et d'épilogue. Le lecteur peut alors suivre le parcours de Tim, son arrivée à Londres, son amour pour le jazz, ses débuts dans la vie professionnelle et amoureuse et comment il est amené d'abord à se servir de son appareil photo puis d'une caméra afin de se faire un peu d'argent de poche supplémentaire. Rien que de très banal, sexe, alcool et drogue, jusqu'au jour où tout va mal. Ses talents ont servi à alimenter une fumeuse magouille politique.

Un roman bizarre et prenant car l'on se demande bien jusqu'où veut nous emmener l'auteur, quel est son propos, où réside l'intrigue, puis d'un seul coup tout se décante et pour ceux qui ont vécu cette époque, il s'agit d'un éclairage nouveau sur la fameuse affaire Profumo qui défraya les chroniques. Une affaire de moeurs impliquant un ministre britannique, une prostituée, la sécurité nationale, le tout sur fond de guerre froide. Assistant-réalisateur, ayant travaillé avec Stanley Kubrik, Anthony Frewin a écrit son roman, tout au moins les deux parties qui englobent le récit de Purdom, comme s'il avait réalisé des plans cinématographiques. Scènes courtes, dialogues incisifs, description du décor ou du jeu des acteurs, comme s'il tenait une caméra au lieu d'un stylo. Un très bon roman, un peu déroutant au début mais qui prend toute sa force au fur et à mesure que l'histoire se précise.
 

Yaba Terminus
Achille F. Ngoye
Serpent Noir n° 9

Yaba Terminus, c'est le nom de la longue nouvelle qui donne son titre à ce recueil de nouvelles. C'est aussi un hôtel minable situé dans un quartier déshérité de Lagos, l'ancienne capitale du Nigeria. Dans cette " résidence " pour réfugiés, pour immigrants congolais. Midy pensait pouvoir, avec l'argent récupéré sur le dos de sa parentèle, un lopin de terre vendu pour quelques dollars, partir en Europe, comme bon nombre de ses voisins. Mais c'est sans compter sur les mauvaises surprises, meurtres, mensonges, trafics et désirs en tous genres. Au sommaire 10 nouvelles toutes plus noires les unes que les autres, écrites avec un humour féroce, caustique, par un auteur qui pose aussi bien son décor sans complaisance pour décrire les misères subies par ses compatriotes, ou les Africains en général, que ce soit en Afrique ou en banlieue parisienne.

D'Achille F. Ngoye, on connaissait déjà Agence Black Bafoussa et Sorcellerie à bout portant, parus à la Série Noire. Il démontre ici dans ses nouvelles sa force d'écriture dans la peinture sociale d'une époque charnière, qui n'est plus le colonialisme tout en l'étant encore sous une autre forme.

Vous pouvre lire l'interview de A. Ngoye dans l'Ours 13, consacré à l'Afrique.
 

L'idiot n°2
Frédérick Houdaer 
Serpent Noir n° 10

Dosto, vingt ans, est incarcéré à Shitland, une prison de la région lyonnaise. Il cohabite avec Abdel, un sage et Richard. Dosto déteste la télé, il préfère la lecture, tout ce qui se lit, mais professe une préférence pour le bouddhisme. Il aime Fanny, et est payé de retour. Le père de Fanny est un homme politique, et sous le couvert d'une respectabilité de notable, il magouille, est impliqué dans divers trafics, et profite depuis la puberté de sa fille des charmes d'icelle. Fanny a mijoté une vengeance terrible et c'est seulement pour mieux apprécier l'accomplissement de ce retour de bâton familial que Dosto va imposer pour une fois une émission télévisée, et pas n'importe laquelle, à ses amis codétenus.

Un texte qui semble une parodie de mauvais roman noir à l'américaine, mais dont malheureusement l'on sait que cela pourrait arriver un jour, si ce n'est déjà fait. Entre l'inceste bourgeois, plus feutré que le viol familial prolétaire, et les crimes commis par les hommes politiques, moins graves que les petits vols exécutés par des banlieusards affamés, la justice fait son choix. Et l'écrivain est le seul à fustiger en toute liberté ceux qu'il a envie et le méritent. 
 

Fatima et les Nez-de-boeufs
Armand Julia
Serpent Noir n°11

Professeur de philosophie dans un lycée de la banlieue parisienne, André essaye d'inculquer à ses élèves quelques divagations sur Kant. Cela n'a guère l'air de les intéresser, surtout Fatima qui a les larmes aux yeux. Et ce n'est sûrement pas Kant qui lui procure cette affliction. André s'apitoie quelque peu, mais comme après tout un chagrin d'amour à cet âge là, cela ne dure pas, il rentre chez lui sans approfondir la cause de cette tristesse juvénile. Seulement le lendemain Fatima n'est pas en classe. Jacques, son ami, professeur comme lui, lui apprend que Fatima c'est suicidée. Ce n'est pas à cause d'une amourette qu'elle en est venue à cette extrémité. Selon Jacques qui fait partie d'une association antiraciste, Fatima effectuait une sorte de sondage, demandant leur avis aux passants, filmant ceux qui acceptaient de passer derrière la caméra et de dévoiler leur sentiment. Elle aurait eu un rendez-vous avec justement un raciste notoire, plus extrémiste encore que les représentants du F.N. Que c'est-il donc passé ? Et comme un malheur n'arrive pas seul, une de ses condisciples disparaît elle aussi. André, Jacques et Ahmed, le grand frère de Fatima, partent sur le pied de guerre, non sans être toutefois inquiétés par les policiers, car la marée raciste et meurtrière s'étend dans la petite ville; et deux hommes cagoulés qui pour mieux faire comprendre les sentiments qui les animent jouent à la bastonnade.

Ce roman, ancré dans un univers où le racisme, l'intolérance, l'intégrisme sont devenus sentiments courants, où la violence est la meilleure façon de se faire entendre et comprendre, principalement dans les lycées d'une banlieue défavorisée, n'est ni manichéen ni démagogique. Armand Julia, avec un certain humour dirigé parfois envers quelques représentants du corps enseignant, dont il fait partie, décrit avec réalisme ce monde quotidien qui se veut en mutation et n'est qu'en régression. Ceci n'est qu'une fiction, mais par bien des points on sent que le professeur qu'il est à dû se trouver confronté, lui ou ses collègues, à ce genre de débordements. Fatima et les Nez-de-boeufs est sûrement le meilleur roman publié dans le cadre de cette jeune collection.

Paul Maugendre

Présentation de la collection par Paul Maugendre

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