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l'ours-polar |
Le polar Marseillais... Le polar contre l'étiquette, l'académie et l'école
par Cédric Fabre
J'ai grandi en Afrique, j'habitais hier Paris, je vis aujourd'hui à Marseille, d'où est originaire ma famille, et je serais peut-être demain ce simple passant, à Auckland ou au Havre. On m'a défini tantôt comme écrivain de polar marseillais (j'écris sur Paris, avant d'aller risquer ma plume ailleurs). Je me demande si être Marseillais, ce n'est pas un peu comme « être parisien » ou « faire du polar » : une idée qu'on se fait de soi-même, ou de ce qu'on écrit. La littérature est probablement une forme de résistance; et le « polar », s'il existe, aurait plutôt tendance à combattre tout étiquetage, tout académisme, toute école, tout moule, toute tentative d'annexion sous une bannière ou une autre. Je ne crois pas à une « école du polar marseillais », je crois à une littérature en perpétuelle évolution, qui abolit les frontières, défendue par des Izzo, des Carrese, des Marc Trillard, des Pascal Garnier ou des Jean-Luc Payen... Mais, hélas !, je crois aux événements « éditoriaux », au marketing, à la mode et aux soucis d'étiquetage, qui facilitent la lisibilité des commerces de marchandises.
Lorsqu'on évoque l'« école » de Missoula, on amuse Bob Reid, et on agace Jim Crumley; lorsqu'on parle de « littérature des grands espaces » à Jim Harrison, il vous regarde avec l'air triste de celui qui a affaire à un malheureux ignorant. Toute oeuvre littéraire sait s'affranchir des contingences de modes. Car une définition ressemble parfois à une exécution... Izzo n'aimait pas ce terme d'école, qui enferme des livres dans des enclaves; et s'il a fait de Marseille un personnage, il a aussi décrit Montale comme un type prisonnier, piégé par la ville. Il rappelait qu'avant d'être auteur de polars, il était poète. Fin poète, d'ailleurs, Ah! Si on pouvait lire un peu plus sa poésie... Le souci de l'écrivain est de toucher, à partir du local, l'universel.
Bien sûr, la trame urbaine, corroborée par une certaine « poétique du crime » chère à Dashiell Hammett est une aventure inspirante et aspirante. A Marseille, les plus étonnants voyageurs, contemporains de Louis Brauquier et amis des Cahiers du Sud — ceux qui cherchent à entendre battre le pouls du monde — étaient des estrangers : Mac Orlan, Cendrars, le noir-américain Claude McKay, auteur de « banjo ». Sans parler de la poésie déambulatoire de Albert Londres. Dans Panorama de la Pègre (publié en 1934), Cendrars racontait ces ruelles du quartier de « la Fosse » (qui sera détruit par les nazis sur demande des Marseillais) : « poussant la porte des bouges les plus infâmes, découvrant dans des trous d'ombre des Arabes teigneux, des nègres grelottants, des orientaux loqueteux en mystérieux conciliabules, m'attendant à entendre à chaque instant le crépitement d'une révolvérade, et à voir détaler et tourner le coin des Espagnols fuyant sur leurs semelles d'espadrilles, ou chanceler un matelot scandinave blessé à mort (...) ». Mac Orlan, cet amoureux des quais de tous les départs, écrit à son tour : « De malheureuses femmes qui ne sont plus très jeunes surveillent la rue et recherchent l'ombre comme une complice attentive ».
Ecrire sur une ville — Marseille ou une autre... — c'est dépasser la trame poétique de ces textes — fondateurs de la littérature urbaine contemporaine ? — sans se soucier des clivages... Au-delà de ces lieux communs, je décèle une chose : Marseille, cette ville qui pourrait être dite par la voie du magique, du fantastique, se raconte beaucoup aujourd'hui par le biais d'un réalisme figuratif. Son image est si complexe, compliquée à souhait par les politiques et certains intellectuels avides d'une mythologie falsificatrice mais politiquement correcte, que ce réalisme, souvent très social, est sans doute le seul moyen de battre en brèche cette mythologie. Mais elle a aussi besoin d'un peu d'utopie. Toute communauté en a besoin.
Pour clore : je me sens incapable d'écrire un roman qui aurait pour cadre Marseille. Je ne saurais pas le faire...
Cédric Fabre, Journaliste, chroniqueur littéraire à l'Humanité. Il est auteur de la Commune des minots (Gallimard, Série Noire).
Interviewés : le polar Maseillais
Annie Barrière | Philippe
Carrese
Jimmy Gallier | Noël
Simsolo | François Thomazeau