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Dossier
l'ours-polar

Le polar Marseillais ? Haaaaaaaaaa, le polar marseillais !!!

par Philippe Carrese

Philippe Carrese (photo © Martine Montegrandi)
Photo © Martine Montegrandi  Philippe Carrese
(pour l'Ours-Polar Juillet 2000)

Le polar marseillais ? Alors, une nouvelle école de la littérature? Mais d'abord, un polar, c'est quoi ? Et alors, la littérature blanche et la littérature noire ? Le polar, dernier espace d'expression, une chance pour la démocratie? Et Marseille, ville du polar? Marseille, formidable exemple de réussite pour l'intégration? Marseille, son renouveau culturel, son melting pot? Jean-Claude Izzo, mon dieu, quelle sensibilité... Ah désolé, monsieur Carrese, je ne vous ai pas lu mais Izzo, quand même... En le lisant, je me serais cru à Marseille, enfin... en fait, je n'y suis jamais allé, à Marseille, mais ça a l'air tellement authentique... 

Cinq ans que je parcours les cercles branchés, les salons littéraires, les débats menés tambour battant par des animateurs de MJC qui justifient leurs subventions et par des auteurs frustrés en manque d'éditeurs. Si je te dis que je commence à en avoir plein les couilles... pardon... Si je te dis que je commence à saturer de ces questions imbéciles posées par des intellos (de gauche...) qui ont vaguement lu le premier roman d'Izzo et qui en sont sorti réconfortés par un tel amalgame de bons sentiments et de valeurs moralisatrices (de gauche, bien sûr...). 

Évidemment, en cinq ans, j'ai participé aussi à des salons extras, avec des vrais lecteurs, des néophytes curieux, des animateurs qui pratiquent l'humour, des bénévoles adorables et des libraires tous dévoués à la cause de la littérature, qu'elle soit noire ou blanche ou arc-en-ciel... j'ai fais aussi pas mal d'interventions en milieu scolaire, surtout dans les zones dites «défavorisées» où j'ai croisé des enseignants à bout de nerf et de patience mais pas à bout d'obstination pour sortir les minots de leur ignorance confortée par le système culturel aberrant véhiculé par les médias de masse... Pour eux (les enseignants), mes livres étaient un bon moyen de faire lire les gamins, sur des histoires où ils se retrouvent, où ils retrouvent leur langage, leurs codes, leurs vies. Toute cette expérience a été passionnante. Mais toute la mayonnaise (non, l'aïoli, putain, Carrese, tu es pas assez concentré...) qui monte depuis quelques temps autour du polar dit « marseillais » commence à me gaver. Un peu. Pas de quoi faire un infarctus. Juste de quoi être agacé. Et encore! Donc « le polar marseillais»...

On parle du « polar marseillais » depuis maintenant cinq ans... Avant que les médias ne se focalisent sur le « polar corse » ou sur le « polar valenciennois » et qu'ils ne nous oublient définitivement, nous les cousins colorés de la cité phocéenne, j'aimerais juste te faire un flash-back rapide sur le démarrage de toute cette histoire. C'est un rigolo concours de circonstances qui a lancé le processus « polar marseillais ». Je te raconte, pour l'avoir vécu en première ligne...

« Trois Jours d'engatse », mon premier roman, sort en novembre 1994 (chez Méditorial, un éditeur corse audacieux). « Total Khéops », le premier de Jean-Claude Izzo, sort en janvier 1995 chez Série Noire. Le seul point commun de ces deux romans, c'est une vision très précise du tissu urbain et social de Marseille, ville alors totalement ignorée par le reste du pays. Marseille est alors en pleine parano politique, dans un immobilisme suicidaire. « Trois Jours d'engatse » relate les aventures agitées d'un ouvrier marseillais confronté au fonctionnement très méditerranéen du politique local et qui pète les plombs. Dans mon esprit, c'est un roman violent mais drôle, l'humour étant le seul moyen de faire passer la désespérance des personnages. Pas vraiment du polar. Du roman noir, si on veut, quoi que... « Total Khéops » est l'histoire d'un flic qui enquête dans les quartiers nord mais qui habite quand même dans une carte postale des quartiers sud. Ça ressemble déjà plus à du polar, dans la mesure où il y a enquête, flic, promenades en mer et recettes de cuisine, etc.

Bingo ! Les lecteurs marseillais découvrent avec enthousiasme qu'on écrit enfin sur leur ville au quotidien, cette mégapole aux allures de village, incompréhensible vue de l'extérieur pour qui n'a pas les bons codes. Les autres lecteurs du pays découvrent un Marseille inattendu loin des clichés habituels, un nouveau territoire mystérieux et exotique qu'on peut explorer sans faire renouveler son passeport ni changer ses francs en monnaie locale. Succès pour les bouquins, bingo pour les éditeurs. Les lecteurs et les revues spécialisées constatent que ce n'est pas un phénomène isolé dû au hasard mais qu'il y a bien quelque chose qui se passe au niveau de l'écriture, à Marseille. 

Mais, en fait, il se passe quoi entre 95 et 97 ? Il se passe un heureux concours de circonstances avec les rappeurs d'IAM qui dansent le mià, avec Guediguian qui filme une Jeannette et un Marius bien proprets, avec le foot et les études sociologiques sur la géopolitique du stade Vélodrome, avec quelques slogans un peu primaires qui déboulent du type: « ce soir on vous met le feu » ou « fier d'être marseillais »... Il se passe que Marseille transite politiquement d'un maire introverti et porté sur la bouteille à un maire extraverti porté sur la pastorale Maurel. Il se passe que le projet Euroméditerranée prend de l'ampleur, du moins dans les guéguerres internes entre élus locaux et qu'on en parle nationalement. Il se passe que le jeune Ibrahim Ali, un minot comorien de La Savine se fait massacrer par des lémuriens avinés du Front National et que la récupération de ce drame est immédiate. Il se passe surtout que la machine à médiatiser des Editions Série Noire (Gallimard) se met en branle autour de l'auteur Jean-Claude Izzo qui devient un objet publicitaire, une sorte d'appeau manipulé par le syndicat d'initiative, une référence infaillible (même quand il s'agit de théoriser sur le fromage de chèvre). Il est partout, oracle incontournable. Et Marseille devient tendance. Et on se met à s'intéresser au phénomène (aux phénomènes) marseillais. On y tourne Taxi 1, Taxi 2. On y voit des ballets d'une modernité à couper le souffle : « Roméo et Juliette », « Gisèle »... On y entend du Offenbach, on y organise des concours de pétanque, on y crée des opérettes marseillaises, rien que du nouveau, rien que du révolutionnaire...

Profitant de cette synergie, les maisons d'éditions se jettent sur le fromage (de chèvre). Les auteurs marseillais trouvent une écoute auprès des éditeurs. Autant d'individus, autant de personnalités, autant de livres, de styles différents. Autant d'histoires différentes. Et on trouve commode de classifier les auteurs dans une case « polar marseillais ». Réducteur, parfois absurde, souvent incongru mais fourre tout pratique pour cataloguer ces nouveaux venus. « Polar Marseillais »...

Et ben, le « polar marseillais », ça n'existe pas. Ou si peu. Ou de manière tellement passagère... Jean-Claude Izzo a écrit trois histoires autour d'un flic, qui se déroulent à Marseille. Et il est passé à autre chose. Après avoir sorti cinq romans qui dressent autant de tableaux des différentes couches sociales et des quartiers méconnus de cette ville, j'ai écrit mon premier vrai polar : « Tue-les, à chaque fois », où c'est plus la personnalité de mon flic qui est intéressante que sa fonction. Est-ce vraiment du polar ? Mon prochain bouquin « Le Bal des Cagoles », qui sort chez Fleuve Noir en septembre n'est certes pas d'une folle gaieté mais ce n'est pas vraiment un polar, ou si ça en est un, c'est le premier polar intra-utérin. Après le «polar marseillais », le polar intra-utérin...

Dans cette hystérie temporaire autour des auteurs de «polar marseillais», on oublie souvent que la base de tout dans cette affaire, le seul intérêt réel, c'est Marseille. 

Marseille est un sujet extraordinaire. Marseille est une ville complexe, complètement hors normes, un territoire qui fonctionne en dehors de tous les codes habituels mais qui est coincée dans une législation jacobine sans cesse ignorée ou contournée. Marseille est une ville méditerranéenne avant d'être une ville française, et ses habitants vivent, subissent ou utilisent au quotidien toutes ces contradictions. Marseille est une ville vivante, mais pauvre. L'économie de cette agglomération bordélique est une économie de survie malgré tous les discours auto satisfaits des édiles sur l'embellie conjoncturelle de la situation. Tu parles... 

Mais Marseille est  vivante. Un bouillon brouillon. Et Marseille évolue sans cesse, et très vite. Et pour ceux qui prétendent la décrire en respectant les évolutions des comportements, des habitudes, des lieux et du langage, un vécu au quotidien dans cette mégapole est indispensable, sous peine de contresens ou de contrevérités qui te reviennent dans la gueule à grande vitesse. Vue de Paris, de Saint Malo ou d'ailleurs, pas mal de détails fondamentaux peuvent t'échapper facilement. Parce que Marseille est aussi une ville subtile. On gomme avec entrain les vieux clichés pour s'engouffrer dans d'autres, plus modernes mais tout aussi pervers. Marseille est une ville violente, une ville de branleurs, habitée par la même proportion de bourrins, de salopards et de gens exceptionnels qu'ailleurs. Simplement, ici, c'est la Méditerranée et on a tendance à se vanter de tout, même de ses ignominies, même de sa propre médiocrité. 

Toutes ces distorsions de comportement sont une mine d'or pour raconter des histoires. Donc des gens écrivent. Moi et d'autres. Moi, je raconte. Je raconte parce que j'ai envie de raconter ma ville telle que je la vis, et telle que le reste du monde ne la connaît pas. C'est une démarche très personnelle, peut-être prétentieuse mais je l'assume complètement.

Je me méfie des phénomènes de mode. Ça te flingue vite le second degré et les capacités d'analyse. Alors, le polar marseillais... C'est sans doute un fond de commerce alléchant pour les éditeurs. C'est peut-être une opportunité à saisir pour les auteurs d'ici pour enfin se faire éditer, Marseille est tellement loin de Paris et des grosses structures décisionnelles. 

Le tri, c'est le lecteur qui le fait (ou qui le fera), une fois l'effet d'annonce passé. Pas de précipitation. Attendons que les lecteurs aient fini de digérer le gargantuesque flot actuel de parutions, on verra bien leur verdict. La vague actuelle du « polar marseillais » apparaîtra peut-être comme un phénomène superficiel et éphémère, peut-être comme l'émergence d'une prise de conscience sur Marseille, ville méditerranéenne passionnante, mais sûrement pas comme une « école », encore moins comme un genre littéraire à  part entière. Il faut pas déconner.

Phillipe Carrese



Interviewés : le polar Maseillais
Annie Barrière | Cédric Fabre | Jimmy Gallier
Noël Simsolo  | François Thomazeau

A lire aussi : le portrait de P. Carrese dans l'Ours-Polar n° 8

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