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l'ours-polar |
Le polar Marseillais...
par François Thomazeau
Au risque d'être très peu couleur locale, je ferais à toutes ces questions sur le polar marseillais une réponse de normand. Le « polar marseillais » existe-t-il ? Oui. Et non...
Non, d'abord.
Pour moi, l'existence d'une « école marseillaise » est avant tout une évidence statistique et démographique. Marseille est la deuxième ville de France (dernier recensement), et son agglomération, si on englobe Aix, Avignon, jusqu'à Toulon, c'est environ trois millions d'âmes. Ce serait à désespérer si dans le lot, il n'y avait pas d'écrivains de polars. Il y en a donc... et plus qu'ailleurs, sauf à Paris bien sûr. En outre, si personne n'a revendiqué l'étiquette de « polar parisien », c'est parce que les dominants n'ont rien à revendiquer, ils dominent, ils englobent, ils globalisent. Ainsi, dans l'imaginaire collectif, le polar à la Française est nécessairement parisien (Simonin, Boudard, Audiard, Malet bien sûr...) Mais je pense que Malet aurait très bien pu se présenter comme auteur de polar parisien (même s'il était né à Montpellier), parce que le sujet principal de son oeuvre, c'est Paris (mais le grand Léo a également écrit un polar marseillais, Le cinquième procédé).
Alors OUI. Il existe un polar marseillais, comme il y a un polar new-yorkais (McBain, Kinky Friedman, Westlake...), un polar floridien (Willeford, Carl Hiaasen), un polar louisianais (Woodrell, Burke), un polar californien (quasiment tous les autres...) et la fameuse Ecole de Missoula. Tiens... Voilà une comparaison qui tient la route. Qu'ont en commun les écrivains de Missoula ? Ils se connaissent tous et picolent sec ? Alors il y a une école du polar marseillais. On se connaît et on aime le bon vin.
Plus sérieusement, il est clair que personne ne s'est contacté, qu'on ne s'est pas réuni pour dire: lançons une école.... L'autre erreur est de penser que tout commence avec Izzo. Claude Klotz, Sébastien Japrisot sont marseillais. Celle qui a relancé le genre s'appelle Michèle Courbou (Les Chapacans) et Carrese a sorti Trois jours d'engatse avant Total Khéops. Mais, c'est sûr, c'est le succès d'Izzo qui a fait qu'on s'intéresse au polar marseillais et qu'on se rende compte qu'il y a une génération d'auteurs qui écrivent sur Marseille.
Car l'héroïne (sans jeu de mot), la vraie, c'est Marseille. C'est elle qui écrit nos polars, parce qu'elle est tout simplement, après Paris, la ville de France qui a le plus de personnalité, le plus d'atouts romanesques. Un grand port au soleil, avec du populo, des bars, des putes, des truands, des bourgeois, des politiciens corrompus, une lumière qui incite au cinéma... C'est ça, le truc, c'est Marseille. McOrlan, Cendrars et Albert Londres avaient compris ça voilà soixante-dix ans.
Chez Izzo, à mon avis, les deux personnages clef qui sauvent l'oeuvre du préchi-précha, ce n'est pas Montale, ce sont les femmes et Marseille (idem chez Guédiguian d'ailleurs...). Chez Carrese, les personnages sont des pantins broyés, manipulés par leur amour, leur haine, leur rapports troubles avec leur ville. Mais c'est Marseille qui mène le jeu. Del Pappas ? Il écrit une histoire contemporaine de Marseille, une genre d'autobiographie de la ville des années 60 à nos jours. Je ne suis pas là pour faire ma promo, mais d'un strict point de vue créatif, je ne vois pas où j'aurais pu situer l'action de mes romans ailleurs qu'à Marseille. J'ai essayé Paris, Londres. Ca ne colle pas. Je ne suis pas assez imprégné de la patine, de la poussière, de la sueur de ces villes... La littérature, c'est des gens, mais c'est aussi et peut-être surtout des lieux.
Qu'est-ce que Léo Malet sans Paris ? James Lee Burke sans le bayou ? Chandler sans L.A.? Ou Ellroy ? Montalban sans Barcelone? Pinketts sans Milan? Robin Cook sans Londres ? Christian Jacq sans Karnak (non ça c'est pour rire...)
Ne nous cachons pas le fait qu'il y a dans le polar un côté terroir qui fait partie du genre, qui fait vendre et qui ne gâche rien... Bien au contraire. Un zeste d'exotisme et de couleur locale aident à faire passer le message que c'est la merde partout.
Personne ne s'est étonné qu'une collection se spécialise dans le polar black américain (quitte à publier des auteurs blancs sans le savoir...), à l'Ecailler du Sud, nous allons aussi faire un peu dans l'ethnique. Pas pour faire ghetto, au contraire, mais pour rassembler... Pas pour nous recroqueviller sur une marseillitude chauvine et mesquine, mais parce qu'à trop vouloir que l'Internationale soir le genre humain, on finit par recevoir ses ordres de Moscou, de Pékin, ou de Paris. Peut-être aussi que l'éclosion de la vague marseillaise est une façon de dire merde au politburo du polar français qui, qu'on le veuille ou non, est depuis toujours extrêmement parisien. Et très peu sensible aux particularismes locaux lorsqu'ils n'entrent pas dans la ligne du Paris.
François Thomazeau, auteur marseillais et créateur des Editions L'Ecailler du Sud.
Interviewés : le polar Maseillais
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Carrese
Cédric Fabre | Jimmy
Gallier | Noël Simsolo