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Souvenirs de
Bertel Hildebrand

... le jeune Furtwängler, je ne l'ai revu que quand il avait 14 ans. En hiver il faisait du patin sur glace sur le lac Kleinhesseloher See. Il était déjà entièrement développé (il avait presque 15 ans), très mince et grand, les boucles blondes et sauvageonnes. Ses sourcils étaient très marqués au-dessus de ses beaux yeux ardents et expressifs. Très souple et flexible, il patinait très bien... il avait quelque chose de victorieux en lui et il me fit tout de suite une grande impression.

Tous les jours je me rendis à pied au lac et il était déjà là. Je ressentais que lui aussi était content de me voir. Mais au début, nous faisions comme si c'était le hasard qui nous faisait rencontrer. Un jour il m'invita à l'accompagner chez ses parents qui m'attendaient pour le thé. Evidemment j'acceptai avec plaisir. La famille me fit une impression très heureuse, le père si sympathique et particulier, la mère tellement douée avec ses beaux enfants, et mon ami qui était au centre de tout ça, grâce à la force et au génie de sa merveilleuse jeune personnalité... Willi, on l'appelait ainsi, nous joua la 12e sonate de Schubert. Son énorme talent se manifesta ainsi devant moi, il la joua avec une telle maturité et une telle passion et force interprétative, que j'en étais très impressionnée. Il ne voulut pas nous jouer de ses propres compositions mais il me demanda de leur jouer quelques-uns de mes propres chansons. Avec la plus grande timidité je leur joua deux bergères d'après des poèmes de Goethe. Il me regarda avec beaucoup de tendresse et je fus surprise qu'elles lui plurent : « Si charmant, si féminin » répéta-t-il plusieurs fois. Son consentement me poussa à poursuivre dans la composition. Ce fut la première fois que je l'entendis jouer et que je le vis chez lui et ses parents. Mais il ne parlait pas beaucoup de sa famille, même si dans notre relation il y avait déjà quelque chose d'établi. Par exemple, sa mère organisa une charmante heure de danse à laquelle participaient plusieurs couples. Nous l'attendions avec joie car nous étions heureux de nous voir fréquemment. Mais plus tard, nous ne sommes jamais allés danser ensemble ou sortir dans une association de danse. Au printemps mes parents entreprirent un voyage à Florence ce qui nous sépara. Mais nous nous écrivions presque tous les jours. Même s'il n'avait que quinze ans, ses lettres étaient étonnement mûres et son jugement était tellement chaleureux et ouvert vis à-vis de tout ce qui touchait à l'esprit - tout était déjà là, son intérêt pour l'histoire, son amour pour Penthésilée et pour Kleist en général. Il m'écrivit :

« Je m'aperçois que l'histoire m'intéresse le plus lorsqu'il s'agit d'une force extraordinaire, d'une personnalité exceptionnelle ou du développement d'une époque et son influence sur cette personne. Il y a des époques qui te semblent très vagues, remplies de disputes diplomatiques qui rappellent un groupe de femmes qui bavardent et se disputent ; mais le développement de l'ensemble réside ailleurs, à des endroits où on s'en apercevait même pas. »

A propos de son rapport avec les tons, il écrivit :

« Pour moi, chaque ton a un autre visage et la tonalité encore plus, tant que si j'entends quelque chose dans une tonalité autre que celle dans laquelle c'est écrit à l'origine, j'ai l'impression d'entendre toute autre chose » ;

et il me disait de façon charmante que je le rappelais au scherzo de la 7e de Beethoven. Ses lettres sont pleines d'événements vécus, stimulées et stimulantes à la fois. Depuis notre enfance notre relation avait toujours quelque chose de très stimulant au niveau spirituel.


Bertel était l'un des six enfants du sculpteur Adolf von Hildebrand (1847-1921) qui était l'une des gloires de Munich, ville d'art et de culture, depuis que toutes les personnalités importantes de la société, de la Duse à Bismarck, voulaient avoir leur buste. Celui-ci fut l'ami de Clara Schumann et de Cosima Wagner et s'intéressait également à la carrière du jeune Willi Furtwängler. Le couple Hildebrand possédait également une villa à Florence, où il recevait le gotha aussi bien que dans leur vaste maison de Munich.

L'écrivain-diplomate français Jean Giraudoux était en 1905 en poste à Munich, où il fera la connaissance du chef d'orchestre Felix Mottl, futur directeur de l'opéra de la ville, et du jeune Furtwängler, âgé de dix-neuf ans, par l'intermédiaire de Adolf Hildebrand.

Furtwängler et Bertel Hildebrand rompirent leurs fiançailles et celle-ci épousa le compositeur Walter Braunfels dont Furtwängler jouera un certain nombre d'oeuvres.

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