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Statistiquement parlant, Furtwängler dirigea en Italie, entre 1922 et 1954, 69 concerts symphoniques, 112 représentations d'opéra et 76 oeuvres de 31 compositeurs. Le répertoire joué fait surtout appel à ses compositeurs préférés : Beethoven (17 fois la 5e et 11 fois la 7e) et Brahms (12 fois la 1e). Un événement important marqua à deux reprises la vie musicale italienne : ses deux exécutions de la Tétralogie wagnérienne (Scala, 1950 et Rome, 1953).
Les débuts italiens de Furtwängler eurent lieu le jour de Pâques 1922 (16 avril), dans la salle de l'Augusteo de Rome, avec l'orchestre de l'Accademia Santa Cecilia. Au programme : Beethoven, Wagner, et une oeuvre de Malipiero envers laquelle le public manifesta son hostilité (Pause del silenzio) . Néanmoins le chef reçut une interminable ovation. L'année suivante, à l'invitation de Toscanini, il donna deux concerts au conservatoire G. Verdi de Milan, qui n'eurent pas un grand succès, soit en raison de la médiocre acoustique de la salle, soit du peu d'aptitude de l'orchestre pour le répertoire symphonique.
1932 marqua le 50e anniversaire de l'orchestre de Furtwängler, la Philharmonie de Berlin. A cette occasion, il fit une grande tournée européenne de 26 concerts, s'arrêtant en Italie le 2 mai, à Turin. Les 8 concerts provoquèrent un vif intérêt car cela faisait trente ans que l'orchestre n'avait pas joué dans les salles italiennes, depuis Nikisch en 1901. Public et critiques découvrirent les extraordinaires qualités de l'ensemble de 92 musiciens mais les avis ne furent pas unanimes. On accusa la direction de Furtwängler de virtuosité excessive, d'interrompre parfois la ligne générale pour se perdre dans des détails négligeables. A l'opposé, son exécution de la 5e de Beethoven fut qualifiée « d'extraordinaire ». Cette tournée italienne donna lieu à des opinions discordantes et on imagine mal que la 2e de Brahms, jouée à la Scala de Milan le 11 mai ne fut presque pas applaudie. L'ombre de Toscanini et des concerts donnés avec la Philharmonie de New York deux ans auparavant et qui furent des événements retentissants, planait certainement encore dans les esprits.
La Philharmonie de Berlin revint à Rome et Florence en avril 1934. Le 25, Furtwängler fut reçu par Mussolini au Palazzo Venezia, ce qui mit en fureur Toscanini qui, des USA, critiqua son collègue. L'orchestre revint quatre ans plus tard, en mai 1938, donnant quelques concerts mémorables qui marquèrent l'histoire du Maggio musicale fiorentino, en particulier celui du 1er mai qui vit Furtwängler diriger la 8e de Bruckner mais surtout, lors des deux grandioses exécutions de la Passion selon Saint-Mathieu. La critique salua « la beauté du son, les qualités vocales des solistes, la cohésion entre la masse chorale et la masse orchestrale ». Le jour précédent (16 mai), un autre interprète inoubliable achevait dans le silence du public une exécution exceptionnelle du Requiem de Verdi, dans la Basilique Santa Croce : Victor de Sabata.
« Deux parmi les plus grands chefs de l'époque célébraient ainsi, en ce dernier moment de sérénité, l'adieu à un monde que l'Europe allait bouleverser cyniquement. La musique les réunit d'une manière emblématique comme les rescapés, sur un radeau, d'une civilisation irrémédiablement en déclin » (Angelo Scottini).
La tournée de 1941 de la Philharmonie de Berlin (dix concerts en janvier) parut sceller l'alliance entre l'Italie et l'Allemagne. Malgré l'inévitable exploitation politique que les deux régimes nationalistes firent de la tournée, Furtwängler refusa de jouer les hymnes nationaux. Sur un plan artistique, le succès est resté dans l'histoire comme l'un des sommets de l'art de Furtwängler et de son orchestre, tant du point de vue du niveau interprétatif que de la virtuosité. La critique rappela à cette occasion une autre tournée mythique, celle de Toscanini avec la Philharmonie de New York, en 1930.
Furtwängler ne retournera en Italie que six ans plus tard, après la guerre et les procès en dénazification, et plus précisément à Rome le 6 avril 1947. Après les concerts de mai 1948 et mai 1949, l'événement le plus important fut le Ring de Wagner que Furtwängler dirigea à la Scala de Milan en mai 1950 (alors que le théâtre de Bayreuth était encore fermé). Une atmosphère mondaine entoura ces représentations qui devinrent un événement musical de portée historique.
Furtwängler revint à la Scala de Milan l'année suivante pour diriger Parsifal (cinq fois en mars-avril) et Orphée et Eurydice. Les représentations furent triomphales et consacrèrent le chef comme le plus grand interprète de l'oeuvre malgré certaines lenteurs qui lui furent reprochées (1).
De retour d'une tournée en Egypte, Furtwängler revint en Italie la même année avec la Philharmonie de Berlin pour quatre concerts. Une seule notre discordante vint du critique Andrea della Corte qui reprocha au chef
« de se laisser aller à la complaisance du beau son, à un hédonisme excessif et à des lenteurs inexplicables ».
Avec les cinq représentations des Meistersinger von Nürnberg à la Scala en février-mars 1952, un autre chapitre important de la carrière artistique de Furtwängler s'achevait et cette oeuvre marqua ses adieux à la scène milanaise (on sait qu'il aurait aimé y diriger Tristan ainsi que le Palestrina de Pfitzner mais la mort l'en empêcha). Ces représentations connurent un énorme succès. Celle du 9 mars fut retransmise en direct à la radio, l'enregistrement étant rediffusé les 22 et 24 mars 1952. Néanmoins il n'en reste aucune trace dans les archives de la RAI. Fut-il effacé ? On ne le saura jamais.
En janvier 1952, Furtwängler signa avec la RAI un contrat pour huit concerts avec les orchestres de Rome et Turin qui furent enregistrés et qui connurent un grand succès d'audience. En décembre il dirigea une Neuvième de Beethoven qui fut considérée comme médiocre, « faible et sans mordant ». A l'automne 1953, la Direction de la RAI et Mario Labroca donnèrent à Furtwängler la possibilité de diriger et d'enregistrer un Ring à la RAI de Rome. Tout contribua à faire de ces représentations un événement historique. Furtwängler consacra un mois à la préparation de l'oeuvre, l'orchestre de la RAI étant renforcé par des musiciens d'autres formations. La radio accorda au chef une liberté et une tranquillité absolues. Il fallut attendre de longues années avant que ces enregistrements soient enfin publiés par EMI.
Durant son séjour à Rome, Furtwängler trouva le temps d'accompagner (le 16 novembre) la violoniste Gioconda de Vito dans un concert privé en la présence du Pape Pie XII dans la salle du Consistoire du Vatican. La dernière tournée débuta le 8 mai 1954 à la Scala par les puissants accords de la 5e de Beethoven.
« Celui qui dirigeait d'un geste sobre et presque imperceptible était le gardien d'une flamme qui allait s'éteindre lentement et douloureusement. Furtwängler avait atteint le dernier rivage possible pour un interprète, celui du mythe » (Angelo Scottini).
A chaque concert, les spectateurs eurent le sentiment d'avoir été les témoins d'un événement musical sans précédent. Le poète Eugenio Montale écrivit après le concert au Teatro Argentina à Rome :
« Tandis que, hier soir, Wilhelm Furtwängler exécutait la 5e de Beethoven, j'eus l'impression de me trouver devant un tableau du Titien ou du Tintoret. L'un avec ses paisibles images polychromes, l'autre avec ses denses contrastes dramatiques, plongeaient mon esprit dans les secrets de la vague beethovénienne que le geste et l'âme du grand interprète révélaient à la lumière de prodiges insolites. Furtwängler a exprimé hier soir une splendeur de couleur et tous les instrumentistes s'unissaient en un bloc sonore irisé. »
Peu de personnes se rendirent compte qu'un âge d'or mythique allait s'achever. Le critique Piero Buscaroli écrivit :
« L'ultime saison de Furtwängler possède une majesté tragique et monumentale. Depuis les cathédrales de l'art détruit, depuis l'âme nationale anéantie, le dernier chant plane. L'une après l'autre, toutes les immenses formes d'une civilisation artistique se lèvent de nouveau dans la plénitude de leur esprit, avant la nuit... ».
[ 1 ] Le mystérieux enregistrement de Parsifal, véritable Arlésienne annoncée à maintes reprises, n'existe pas. Il ne fut jamais diffusé sur les ondes ; par contre c'est un autre Parsifal enregistré en 1950 et dirigé par Vittorio Gui avec la Callas qui fut retransmis ce soir-là, d'où le malentendu et la polémique qui en résultèrent.
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